Dormillouse, le hameau des "Bécarus" (Freissinières) - Pays des Ecrins : Le cimetière
Prétendre connaître un village sans visiter son cimetière, reviendrait à écrire une histoire en oubliant la fin... Voici donc la "fin" de la visite du hameau de Dormillouse, qui fut longtemps habité en permanence, bien que difficile d'accès, après une heure de montée sur un sentier pédestre.
A la terre de ce hameau étonnant, tant de fois labourée, piétinée, descendue, remontée, ensemencée, vénérée, s'accroche un cimetière pour le moins insolite.
On penserait plutôt qu'on pénètre dans l'enclos des chèvres, mais c'est bien au cimetière que nous allons, après avoir poussé cette petite porte qui grince un peu, comme ses grandes soeurs, les grilles de cimetières.
A l'ombre de deux frênes, dans un pré en pente,
Quelques petites pierres brutes sont vaguement alignées et menacées par la végétation, bien que le cimetière soit soigneusement fauché.
La "dernière demeure" d'une famille contemporaine, abrite les chers disparus sous un chalet rustique, planté dans un jardinet clos par une autre palissade en bois où poussent les Reines des Alpes (Eryngium Alpinum).
Toutes les pierres tombales datent du XIXe ou du début du XXe siècle.(cliquer sur les photos pour les agrandir)
Et sont gravées sommairement sur des pierres à peine taillées.
Ici, pas de croix, pas de plaques, il est vrai que nous sommes en terre protestante.
Dès que la Réforme a été considérée par l'Eglise catholique comme hérésie, les cimetières paroissiaux sont devenus des lieux saints, recevant une bénédiction et les protestants ne pouvaient plus inhumer leurs défunts dans ces cimetières. Ils créent alors des cimetières spécifiques, sans tombeaux, sans signes distinctifs d'une inhumation. Ces cimetières ont la particularité de ne pas être situés près d'un lieu de culte. La révocation de l’Edit de Nantes en 1685 interdit le culte protestant : exclus des emplois publics, de leurs temples, les protestants sont exclus de leurs cimetières. Les ordonnances royales exigent que les protestants soient enterrés de nuit et sans rassemblement. Les protestants qui refusent de se convertir vont ensevelir leurs morts clandestinement, « dans les terres », dans un champ appartenant à la famille du décédé.
Il faut attendre l’Edit de tolérance de 1787 pour que l’existence civile des protestants soit reconnue. Il prescrit que les villes et villages devront avoir « un terrain convenable et décent » pour l’inhumation de ceux auxquels la sépulture ecclésiastique est refusée. Bonaparte rétablit définitivement la liberté religieuse et l’égalité des cultes dans le cadre du Concordat et des articles organiques de 1802. La nouvelle législation organise l’existence des cimetières protestants. "
Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi''. C'est la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui institue la liberté de conscience, le droit de croire, de ne pas croire ou de changer de croyance, sous l'impulsion notamment de Rabaud St Étienne, député protestant du Tiers Etat, dont le père, pasteur, avait déjà milité pour obtenir l'édit de tolérance de 1787.
Dans cet enclos, un homme repose depuis 2013. On pense alors, mais comment ont-ils fait pour monter le cercueil dans le sentier ? Ou par hélicoptère?
La réponse est dans l'urne noire posée au pas de cette petite maison... et dans le commentaire ci-dessous signé Gizelou... merci Gizelou.
Qui abrite aussi, fleurs et herbes folles, restes de couronnes et ce buste d'homme sculpté dans une pièce de frêne...
"Il arrive parfois qu’au détour d’une allée, entre deux chapelles, on soit frappé au cœur par une tombe, le plus souvent humble, qui détonne de la logorrhée funéraire habituelle : quelques photos ou dessins, une phrase gravée (ou même écrite au stylo parfois), un message simple…, un petit quelque chose qui fait que cette tombe devient unique, qu’elle prend sa véritable dimension mémorielle." Philippe Landru - Cimetières de France et d'ailleurs -
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Dormillouse, le hameau des "Bécarus" : Le village
Dormillouse, le hameau des "Bécarus" : Le moulin
Liens utiles:
http://www.museeprotestant.org/notice/les-lieux-denterrement-des-protestants-3/
Cimetières de France et d'ailleurs Le site de Philippe Landru