Chapelle Saint-Pancrace de Villar-Saint-Pancrace
Une visite organisée par un viaran passionné qui donne de son temps chaque été pour guider des visiteurs tout aussi passionnés, m'a permis de pénétrer dans cette chapelle : "Ce n'est pas une cathédrale ! Mais pour nous c'est tellement plus beau..." C'est du moins ce que pense Jean-Paul Fine... Je vous en laisse juge :
Elle s'élève, seule au milieu des prés, sous la montagne de Pied Sec, on l’atteint après quelques minutes de montée d'une "calade" ou chemin empierré et bâti sans mortier. Elle contenait des reliques de saint Pancrace qui furent dérobées en 1968 et un abbé mitré y serait enterré. Ce fut de tout temps un lieu de pèlerinage où l’on venait d’Oulx, Bardonnèche, Château-Dauphin... Les filles de Saint-Martin-de-Queyrières venaient à la chapelle le jour de la fête du saint et tournaient trois fois autour de l’autel pendant la messe en répétant : « Bon saint Pancrace, faites que mon mariage se fasse ! ». On invoquait le saint pour les bêtes, et le 12 mai, jour du pèlerinage, on donne la bénédiction des enfants. Car le jeune martyr de 14 ans était le patron des enfants et des jeunes chevaliers. La date de sa fête le fait invoquer contre les gelées de printemps avec les autres « saints de glace ». Beaucoup furent miraculeusement guéris et longtemps des béquilles accrochées au mur ont témoigné de la véracité (ou des croyances) de ces miracles.
C’est une grande chapelle de 14 m 50 sur 5 mètres, de style sobre. Déjà une charte de l’abbaye d’Oulx, en 1148, la mentionne comme un lieu de pèlerinage très fréquenté. Encore aujourd’hui se perpétue la neuvaine dédiée à Saint Pancrace (12 au 20 Mai).
L'une des portes sur le mur pignon ouest est la véritable entrée et l'autre est ouverte sur la façade sud, avec une arcature plein cintre en pierres de cargneules. Près d'elle saint-Christophe s'efface en traversant un cours d'eau avec son long bâton et portant l'Enfant Jésus sur son épaule.
Les murs extérieurs sont couverts de graffiti, certains datant de 1818, sortes d’ex-voto.
L'intérieur se compose de deux parties d'époques de construction différentes (XIIe-XVe siècles) afin d'accueillir tous les pèlerins et les malades qui espéraient guérir miraculeusement.
Les peintures murales du mur à l'angle nord-ouest furent découvertes et restaurées de 1975 à 1978 par les Beaux-Arts et racontent l'histoire de saint Pancrace. Fresques ou peintures murales ? Il semble que seules les peintures de l'église des Cordeliers de Briançon aient été identifiées comme fresques. Cependant, celles de la chapelle Saint-Pancrace, à la facture talentueuse et soignée, à la palette riche et surtout comportant du bleu que les fresquistes utilisaient avec parcimonie car il était fabriqué avec le lapis lazuli, peuvent faire penser qu'il s'agit bien de fresques et non de simples peintures murales... C'est ce qu'affirme Jean-Paul Fine.
L'histoire de saint Pancrace nous y est contée. D'après Jean-Paul Fine qui s'inspire d'Elena Rossetti Brezzi, l'auteur de ce décor serait le maître de Ramat. Gabrielle Sentis explique : "Ces grandes figures aux nobles drapés évoquent une influence italienne, peut-être quelque disciple attardé de Giotto ou des Lorenzetti." Toujours est-il qu'elles font partie des plus belles peintures du XVe- XVIe siècles de la région !
Voici l'histoire de saint Pancrace sur l'angle nord-ouest, de sa conversion à son procès et à sa mort.
Pancrace, alors adoslescent, est agenouillé avec son oncle Denis devant le pape Marcellin pour recevoir le baptême. Sur la gauche, la porte et la tour sont celles de Rome, au fond, un paysage de montagnes dans les ocres.
Pancrace est face à l'empereur Doclétien assis sur son trône, entouré de deux légionnaires romains armés d'un hache et d'un fauchard. On notera la position des doigts de Pancrace qui semblent exprimer un discours important, mais l'empereur baisse son sceptre pour ordonner de lui trancher la tête.
L'exécution de Pancrace a lieu dans le même cadre devant un conseiller. Le bourreau rengaine son épée dans le fourreau avec un sourire satisfait. Un ange emporte déjà l'âme de Pancrace. L'exécution se déroule derrière le rempart crénelé de la ville.
La mise au tombeau de Pancrace par un homme et une femme près d'une église au clocher typique des églises des Hautes-Alpes du XVe-XVIe siècles. On remarque la beauté du décor de fond, paysage vallonné avec quelques arbres.
Deux autres "cases" en partie effacées, représentent le miracle perpétuel ou du parjure relaté par l'évêque de Tours et peut-être un miracle de saint Pancrace sur la dernière.
Plus haut sur le mur nord, figure une crucifixion ou calvaire. Trois croix, celle du Christ et les tau des deux larrons. L'âme du "bon larron" est saisie par un ange et par un démon pour le deuxième larron qui se détourne. Les couleurs sont délicates, les drapés dignes d'un grand artiste, la richesse des couleurs (on notera le bleu de lapis lazuli) prouvent le rayonnement de cette chapelle qui s'enrichit de passages nombreux de pèlerins. Un refuge fut d'ailleurs construit près de la chapelle. Seule Marie-Madeleine regarde Jésus, la Vierge et saint Jean ont les yeux baissés. L'attitude de la Vierge, debout et poignante dans sa douleur muette évoque à Gabrielle Sentis Jacopone de Todi, poète franciscain italien du XIIIᵉ siècle : "Elle était là debout, tout en pleurs, cette Mère d'affliction, près de la Croix qui tenait suspendu son Fils, son coeur fut transpercé par un glaive..."
Juxtaposé au calvaire, le jugement dernier, le Christ en majesté dans une mandorle, saint Pierre, la Jérusalem céleste, le peuple des élus, les anges musisciens, tout est là comme sur une scène de théâtre...
Dans l'abside, le décor en partie effacé nous montre un très beau Christ en majesté qui soutient lui-même la représentation de son martyr sur la croix. Il est accompagné des symboles des Evangélistes et des Apôtres, comme à Prelles et aux Vigneaux.
Saint Pierre et saint Paul, avec les clés et le glaive, leurs attributs invariables. Contrairement à ce que l'on peut voir d'habitude, saint Pierre et saint Paul sont tous deux jeunes, alors que saint Pierre est souvent représenté sous les traits d'un vieillard.
Le reste du mobilier avec quelques tableaux restaurés dont un du XVIIe de François Cherronnier "la décapitaion de saint Pancrace", le reliquaire de saint Pancrace, la tribune et ce petit retable polychrome. un tableau de "l'achat de la cloche" où sont inscrits tous les donateurs et la somme qu'ils ont versée, "En l'an de Paix 1919".
Le clocher-mur à quatre niches accueillit ses quatre cloches jusqu'en 1914 où elles furent descendues et fondues... il en compte deux aujourd'hui.
Sortir et admirer le paysage briançonnais qu'offre l'emplacement de la chapelle, les yeux encore emmerveillés des couleurs des peintres italiens, et repartir éblouie, redescendre la calade par un chaud après-midi d'été. On est loin des cathédrales, et pourtant...
Merci à Jean-Paul Fine, à son livre La chapelle Saint-Pancrace, éditions Transhumances, 2018.
Visites du 06/07 au 30/08/2020, tous les mardis et jeudis à 14h30
RV à la Maison de la montagne, Villar-Saint-Pancrace (Briançonnais)