Pour la Toussaint, allons au cimetière d'Aiguilles (Queyras)...
Est-ce parce que je n'ai personne de ma famille dans aucun cimetière des Hautes-Alpes que j'aime m'y promener ?
Visiter un cimetière, c'est marier le passé au futur en poussant une grille qui grince,
c'est faire crisser le gravier sous ses pas dans le silence dérangé par un
chant d'oiseau, par la rumeur de la vallée ou le souffle du vent dans les feuilles, c'est lire la vie...
Les cimetières sont des livres ouverts.
Pour la Toussaint, visitons le cimetière d'Aiguilles, village du Queyras, exceptionnel par son histoire et les traces qu'elle a laissées.
Visiter un cimetière c'est comprendre un village et connaître son âme...
La commune se compose du Chef Lieu Aiguilles La Condamine (1560mètres d'altitude), et de 3 hameaux : les Eygliers, Le Lombard et Peynin. Avec ses 400 habitants, Aiguilles a une belle histoire à raconter, même si celle-ci n'a pas toujours été... facile !
Aiguilles a connu, comme Barcelonette, l'âge d'or des migrations au XIXe siècle. Il est depuis surnommé "le village des Américains". Même si de tout temps les Queyrassins ont émigré, principalement vers Marseille, ou l'Italie, l'Espagne, la Suisse et l'Allemagne, l'émigration du XIXe siècle a été particulière puisqu'elle a concerné les Amériques du Nord et Latines et qu'elle a fait suite à un violent incendie : plusieurs Aiguillons ont quitté le pays pour faire fortune, puis sont revenus au pays. Plusieurs incendies ont dévasté ce village, en 1746, 1829, 1886, 1889, mais aussi des inondations, en 1957 qui ont marqué les Aiguillons en faisant de gros dégats, puis d'autres débordements ou crues du Guil en 2000, 2002, 2008.
À leur retour des Amériques, les Aiguillons ont fait construire de belles villas aux riches décors, ferronneries d'art, balcons et grilles, lucarnes et épis de faîtage, comme il était de coutume à cette époque, fin XIXe, début XXe siècles.
Le cimetière, qui surplombe la vallée, est construit près de l'Eglise Saint-Jean-Baptiste du village, qui a du être reconstruite au XVIIe siècle à son emplacement actuel suite à une crue du Lombard/Guil au XVe siècle. Le bâtiment actuel date du remaniement du XIXe siècle. (site Envie de Queyras)
De ce passé douloureux, de l'époque des migrations, Aiguilles garde quelques traces, dans son habitat, mais aussi dans son cimetière.
Tombes imposantes érigées à la mort des aiguillons ayant fait fortune,
Chapelles monumentales entourées de grilles en ferronnerie,
D'autres chapelles alignées comme autant de dernières petites demeures...
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil, je la voyais s'asseoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son œil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?
Baudelaire - La servante au grand coeur
L'art funéraire est ici présent plus qu'ailleurs dans les Hautes-Alpes. C'est en cela que ce cimetière est inhabituel. Ici, une femme dans l'humilité de la souffrance, tête penchée sur le côté, yeux clos, mains nouées sur un bouquet de fleurs, semble dire que la mort rend égaux, les puissants et les faibles. Sculpture de Fortuné Imbert (1842-1945) - Ardèche
Luceo sed spero
Malgré ses 400 habitants, Aiguilles possède un "cimetière de ville" bien plus qu'un "cimetière de village", certainement le plus luxueux des Hautes-Alpes.
Les vieilles couronnes sans âge défient le temps.
Même les cimetières meurent...
Petit à petit la végétation qui escalade les grilles rouillées, fait alliance avec les saisons pour détruire lentement les édifices que plus personne ne vient visiter. Plus personne ?
Photo : Paul Billon-Grand
Sur la croix du cimetière, une indulgence plénière accordée à perpétuité par l’évêque de Gap en 1866 promet 40 jours de remise de purgatoire à ceux qui prieront devant la croix...
La tombe d'Albert GUÉRIN(1893-1974), Compagnon de la Libération. Gazé en 1918, cet industriel en parfumerie installé en Argentine refusa l’armistice, créa un comité d’ancien combattants à Buenos Aires, noyau du premier comité de la France libre de toute l’Amérique du Sud. Faisant preuve d’une inlassable activité, il rassembla les Français qui refusaient la défaite et leva des fonds pour soutenir l’effort de guerre de la France libre. En 1943, il fut élu comme représentant de l’Amérique du sud et de l’Amérique centrale à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger puis à celle de Paris en 1944. (Texte et photo Philippe Landru - Cimetières de France et d'ailleurs)
La tombe de Boris Roatta. Le jeune acteur Boris ROATTA (1980-1994), qui malgré son jeune âge avait déjà une vraie carrière derrière lui en tant qu’acteur de téléfilms (il était le jeune fils du Commissaire Moulin), mais aussi de voix de doublage (il est surtout connu pour avoir été la voix française de Kevin McCallister dans Maman, J’ai Raté l’Avion). Il décéda des suites d’un accident de la circulation provoqué par un chauffard. Dans la série Commissaire Moulin, il ne fut pas remplacé, et le scénario intégra la disparition de son personnage, dans les mêmes circonstances. (Texte et photos : Philippe Landru)
C'est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d'un trou
Louis Aragon - J'entends, j'entends
Ces photos ont été prises en octobre 2015.
Aujourd'hui, nombreux sont celles et ceux qui vont venir illuminer ce cimetière avec des chrysanthèmes multicolores, comme pour braver l'hiver et le gris de la pierre. Cette tradition remonte à la fin de la première guerre mondiale, où se développe la coutume d’orner les tombes des soldats défunts et les monuments aux morts avec des fleurs. La date de la fête des morts coïncidant avec le milieu de l’automne, il fallait trouver une fleur en pleine floraison à cette période de l’année. Le chrysanthème fut alors largement employé et devint au fil des années un synonyme incontournable de la Toussaint.
Aujourd'hui, je visiterai moi aussi ce beau cimetière d'Aiguilles avec une équipe de FRANCE 3 PACA.
Nous évoquerons peut-être les innovations au cimetière : QR code et hologrammes... sans doute la nouvelle "place du mort" ?
Quelques photos de Toussaint 2017 :
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Et la grille se referme en grinçant sur la vie du cimetière...