Élise Freinet, enseignante, artiste, naturiste, née à Vallouise le 14 août 1898...

«Maman chérie,

Après trois jours d'une effroyable tourmente, je puis enfin t'écrire. Je ne savais point encore de quoi était faite la vraie solitude ! Je le sais maintenant ! Mais je ne savais pas encore non plus, combien la présence de mes élèves m'était un secours ! C'est sur eux que je reporte le trop plein de mon inutile tendresse ou du moins ce qu'il reste quand vous avez pris votre part... 

Rassure-toi ! Mes forces sont à la mesure de l'épreuve ! En venant ici, je pressentais les luttes inévitables qui sont le lot d'une jeune-fille intelligente et sans fortune. Quelles que soient les sollicitations qui se trouvent sur ma route, je n'ai pas besoin de Dieu pour me préserver de la tentation, il me suffit de voir clair en moi-même...

De ma fenêtre, je vois là-haut, un coin de ciel.

Comme Lucile dans les Mémoires d'Outre Tombe, je pourrais prendre comme emblème la lune à travers les nuages : "souvent obscurcie, jamais ternie..." »

Élise Freinet,

Une institutrice de Villar-d'Arène

Élise, enseignante

Élise Lagier-Bruno voit le jour à Pelvoux le 14 août 1998. Ses parents, Claude et Julie, étaient instituteurs dans le Briançonnais, à Saint-Clément-sur-Durance, Vallouise, Pelvoux, Vars, Saint-Marcellin, Saint-Martin-de-Queyrières. 

Jamais nous n'avons eu froid comme ce matin : il y a -24°.

La route n'est qu'un verglas ; avec des sabots sans clous, on ne peut pas marcher.

Tout est gelé ; l'encre dans les encriers, l'eau dans le vase de fleurs, le vin dans le verre. 

Nos papas arrivent du chantier avec la moustache toute fleurie de glaçons. 

Le livre des petits alpins

Journal scolaire bi-mensuel, école de Saint-Martin-de-Queyrières- 15 janvier 1931- classe de Mme Julie Lagier-Bruno (mère d'Élise)

 Maison où vécut Élise à Vallouise

C'est dans la mairie de Saint-Martin-de-Queyrières, alors école, qu'Élise épouse Célestin Freinet le 6 mars 1926. C'est aussi dans cette mairie que le frère d'Élise, Fernand, futur responsable du maquis de Béassac et instituteur, se marie en 1925...

En octobre 1916, Élise rentre à l'École Normale d'institutrices de Gap.  Avec son diplôme elle est nommée comme stagiaire à Villar-d'Arène en 1919, au-delà du col du Lautaret, "l'un des postes les plus isolés à l'époque, les plus désolés du département.", puis à Chantemerle/Saint-Chaffrey, aux Guibertes/Le Monêtier, Serre-Barbeing, Sainte-Marguerite/Saint-Martin, qui sera son dernier poste dans les Hautes-Alpes.

Le 6 mars 1926, Élise épouse Célestin Freinet, instituteur qui deviendra le célèbre pédagogue, aux techniques basées sur l'expression libre des enfants. Son nom et celui d'Élise resteront attachés à la Pédagogie Freinet qui se perpétue de nos jours, notamment via l'Institut Coopératif de l'École Moderne.  L'École Freinet de Vence dans les Alpes-Maritimes, devenue publique en 1991, est classée au patrimoine de l'UNESCO.

Célestin et Élise Freinet

Après un premier congé pour convenances personnelles, Élise retourne en classe et demande un poste d'adjointe dans l'école de garçons où enseigne son mari à Saint-Paul de Vence. Elle ne l'obtient pas ; elle est nommée à l'école de filles en 1930 mais son état de santé se dégrade et un congé de longue durée lui est prescrit. 

Élise, artiste

Élise a appris la gravure sur bois et dit souvent que la contrainte du matériau lui a imposé une rigueur qu'elle n'aurait pu acquérir seule. On retrouve là un souci personnel d'exigence que reconnaitront ceux qui l'ont côtoyée. (Michel Barré)

Élise, auteure

Élise écrit beaucoup. C'est elle qui écrit le synopsis du film de Jean-Paul Le Chanois L'École Buissonnière, qui romance les débuts de la pédagogie de Célestin Freinet à travers le personnage d'un jeune instituteur, M. Pascal, campé par Bernard Blier (1948)

Quatre livres majeurs d'Élise :

Naissance d'une pédagogie populaire (1949) qui raconte l'histoire de Célestin Freinet depuis 1920.Elle défend l'oeuvre de Freinet et explique en détail la naissance de l'imprimerie à l'école puis l'affaire de Saint-Paul de Vence et la période de la guerre.

L'enfant artiste, édité par le CEL (Coopérative de l'Enseignemant Laïc) en 1963

«Assis, debout, allant, venant, chaque enfant porte sa charge comme l'abeille son pollen. Un tel spectacle qui ferait sursauter un inspecteur habitué à l'immobilité d'une classe "disciplinée" nous ravit d'aise.»

Principes d'alimentation rationnelle. Premier ouvrage écrit par Élise Freinet en 1936, il a été réédité en 1939. Après une préface de Basile Vrocho (1892-1936), professeur naturiste d’origine grecque, qui la soigna dans les années 30, une première partie exposant les principes d'alimentation rationnelle, des propositions de menus et des recettes, Élise conclut avec quelques principes, comme donner la priorité aux fruits, rejeter les huiles, le sucre et les produits industriels, cuisiner le moins possible... qui sont aujourd'hui largement repris.

La santé de l'enfant. Édité en 1946 et réédité en 1955. «Ce livre dont la réédition fait preuve qu'il a été lu et peut-être qu'il a rendu quelques services, est l'oeuvre d'une empirique. C'est dire qu'il n'est point destiné aux spécialistes des questions médicales nourris d'expérience clinique, de docte science et quelque fois de dangereux savoir. Il est écrit non pour guérir la maladie-ce qui est l'affaire des praticiens- mais pour la prévenir et surtout pour l'éviter aux stades les plus marquants de l'existence humaine : dans le sein de la mère, au cours des premières années et de la décisive adolescence.» Élise Freinet, avant-propos de la deuxième édition.

Élise, naturiste

Sa rencontre avec Basile Vrocho qui la soigne dans les années 30, va l'influencer dans sa pratique de la pédagogie. Ensemble de pratiques corporelles (hydrothérapie, sudation) et d'alimentation basées sur le végétarisme et des techniques de respiration par le nez, ce réseau naturiste est d'influence marxiste voire anarchiste. Selon Élise, c'est l'appliquation de cette méthode qui l'aurait guérie de la tuberculose. (Xavier Riondet)

On ne peut que se souvenir de la construction de sanatorium dans les Hautes-Alpes à Briançon dans les années 30, qui, avant les traitements par antibiotiques, permettaient aux patients atteints de tuberculose de venir se soigner à la montagne, et que le soleil et l'air pur, une alimentation saine et équilibrée, guérissaient parfois de cette maladie et l'empêchaient de se propager en éloignant les malades de leur milieu. On pressentait également que le mental des patients avait une influence des plus fastes dans la lutte contre la maladie... ce qui est largement repris de nos jours. 

"L’École Freinet se présente dès sa création comme un laboratoire recherchant l’efficience des pratiques en jeu, à travers une organisation matérielle spécifique et un travail sur les corps. Dès 1935, les baignades et les bains de soleil sont des pratiques quotidiennes et l’alimentation se caractérise par un régime alimentaire centré le plus possible sur la consommation du fruit." Xavier Riondet, dans Élise Freinet : de l'expérience naturiste aux pratiques de l'École Freinet 

Élise dans la résistance

La chapelle de Béassac

Militant communiste dans les Alpes Maritimes, Célestin Freinet participa aux deux guerres mondiales du XXe siècle. Les époux Freinet vécurent quelques années à Vallouise pendant la deuxième guerre mondiale. Avec son mari, Élise va s'impliquer dans la résistance au sein du maquis de Béassac, au-dessus de Vallouise. Il semble que Célestin Freinet n’ait participé à aucune action de « vive force » mais uniquement à des opérations de soutien logistique, indispensables et vitales pour le groupe de maquisards, dit maquis de Beassac, dans la vallée de l’Onde, dirigé par son beau frère Fernand Lagier-Bruno. Les époux Freinet publierent un livre de poèmes illustrés de dessins au fusain très « romantique et emphatique » concernant la période de la résistance. Le toujours passionnant et très bien documenté blog de Jean-Marc Barféty, bibliophile du Dauphiné et des Alpes, présente ici le livre « Images du Maquis ».(ovalp.com)

Il semble qu'Élise, quant à elle, dispensait ses conseils et ses soins aux résistants.

 ***

Je tiens à remercier Claude Altobelli qui par ses recherches et sa volonté a remis les Freinet et surtout Élise dans la mémoire de Vallouise, en créant "Les Journées Freinet" et en cherchant un lieu pour y ouvrir un "Espace Freinet", lieu d'exposition de documents, d'objets et de souvenirs de la vie à Vallouise, de l'histoire des Freinet et des Lagier-Bruno et du Maquis de Béassac... 

Un timbre a été lancé le 12 octobre 2018, d'après photo Association « Amis de Freinet » ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne Pédagogie Freinet).

Je remercie également Les Amis de Freinet, dont le Bulletin N°105 de décembre 2018 qui comporte un Dossier Élise Freinet m'a été d'une grande utilité. 

Le lien vers La Bibliothèque Dauphinoise de Jean-Marc Barféty qui présente le livre Images du Maquis

***

Quand on me dit : "La Journée des droits des femmes ? Et les autres jours on fait comme d'habitude ?" Je réponds : "oui, les autres jours je fais comme d'habitude ! Je continue à défendre ma féminité et mes droits... "

Bon 8 mars à toutes les femmes ! et aux hommes qui les aiment...

Et pour celles et ceux qui seront présent-e-s , une Journée particulière au Centre socio-culturel de L'Argentière-La bessée :

***

 "Je voudrais ne jamais redescendre"

Maryse Bastié, aviatrice

---

Comments

[Jean-Marc]

Bonjour

Merci pour ce beau et complet portrait d'Elise Freinet.

Et merci pour la mise en valeur de mon travail.

J'ai aussi eu l'occasion de parler de la mère d'Elise Freinet, qui a fait paraître un fascicule très intéressant sur l'éducation des enfants, avec des illustrations dElise Freinet : Bélôti, dans la collection Bibliothèque de travail (publication de l'Ecole Freinet) : https://bibliotheque-dauphinoise.blogspot.com/2015/03/beloti-un-enfant-des-hautes-alpes.html

Dans cette même collection, C. Freinet a fait paraître "Le Maquis", qui est basé sur l'histoire du maquis Béassac.

Jean-Marc

[Annie Molinet]

Plus je découvre l'histoire des Hautes-Alpes, plus je suis épatée par les talents que je découvre au fil du temps!

Merci pour cette présentation d'un couple remarquable!

[Claude]

Bonjour,

8 mars, est-ce un hasard si les institutrices débutantes sont nommées "dans les plus isolés (...) les plus désolés du département" ? Vingt ans plus tard, ma mère a débuté à Dormillouse au fond de la vallée de Freissinières alors que mon père prenait son premier poste (plus confortable) à Plampinet.

[coeur_de_mots]

Il est des destins et des personnages singuliers, parce que convaincus, et décidés à donner le meilleur d'eux-mêmes, et qui pourtant sont des femmes et des hommes simples.... Merci pour ce beau portrait inspirant...

[fernik]

en tant qu'ancienne directrice d'école maternelle j'ai tt particulièrement apprécié cet article Bravo encore une fois On découvre toujours des choses que l'on ignorait..