La France d'Antoine Bourdelle, une histoire romanesque qui a 100 ans
La France d'Antoine Bourdelle au Fort du Château à Briançon.
Elle trône sur le Fort du Château à Briançon, au point culminant de la Cité Vauban. Elle est due à Antoine Bourdelle, célèbre sculpteur né à Montauban en 1868. Elle fut commandée vers 1922 par le gouvernement français pour commémorer l’arrivée des troupes américaines en France en 1917. Un monument devait être construit à la Pointe de Grave, sur l’estuaire de la Gironde avec une statue monumentale en bronze. Mais les hommes et l’histoire en décidèrent autrement. Le projet initial fut détourné et voyagea dans toute la France et d’Alger à Briançon…
Antoine Bourdelle et Grace Christie devant la tête de La France (© Agence de presse Meurisse)
Tous les briançonnais, toutes celles et ceux qui séjournent à Briançon l’ont déjà observée ou photographiée, cette sculpture en bronze de 4 mètres 55 de haut qui, la main gauche en visière, semble scruter l’horizon ou plutôt la ligne des cimes, sur le sommet du fort du Château. Mais qui connaît son auteur et son histoire pour le moins mouvementée ? Et pourquoi s’est-elle installée à Briançon ? Deux hommes qui ne se sont probablement jamais rencontrés sont les acteurs de son histoire à Briançon : Antoine Bourdelle (1861-1929), sculpteur et Maurice Petsche (1895-1951), homme politique, député des Hautes-Alpes et ministre.
Vers 1922, le gouvernement français décide d’élever un monument commémoratif de l’arrivée des troupes américaines en France en 1917. Il sera construit à la pointe de Grave, sur l’estuaire de la Gironde, près de Bordeaux. Deux architectes, Messieurs Ventre et Damour imaginent une tour de 100 mètres de haut devant laquelle se tiendra « La France » scrutant l’horizon dans l’attente des troupes alliées. Le sculpteur Albert Bartholomé (1848-1928) est âgé de 74 ans quand il est pressenti, mais devant l’urgence de la commande, il demande à son collègue Antoine Bourdelle d’exécuter l’œuvre. Dans un premier temps, ce dernier refuse, mais son confrère réussit à le convaincre en lui présentant le travail comme un devoir patriotique que l’artiste ne peut refuser. Hélas les budgets seront totalement épuisés pour la construction de la tour et la statue colossale ne sera pas installée en ce lieu.
Antoine Bourdelle : Monument aux Morts de 1870 à Montauban
La statue en bronze devait mesurer 9 mètres de haut, 3 mètres 40 de large et 1 mètre 40 d’épaisseur. Bourdelle décide de représenter La France en Pallas Athénée, déesse de la guerre, entourée des serpents de la Sagesse. Elle scrutera l’horizon en attendant les renforts américains. La déesse sera armée d’un bouclier ou égide, orné d’une tête de Méduse et d’une lance garnie de branches d’olivier, symbole de paix, car dans l’esprit de l’époque, la France, bien qu’armée reste pacifique. C’est la nièce du sculpteur, Fanny Bunand Sevastos, femme d’une exceptionnelle beauté qui sert de modèle, tandis que Florence Bryant Colby, secrétaire de la famille Bourdelle pose pour les bras.
La France de Bourdelle à Montauban
Il existe donc en 1923 quelques maquettes dont on tire plusieurs exemplaires en bronze. La première est employée par Bourdelle pour son monument aux morts de la Guerre de 1914/18 à Montauban, ville natale du sculpteur. L’ouvrage est inauguré le 13 novembre 1932. La statue se trouve actuellement sur l’esplanade du Cours Foucault. Une deuxième épreuve servit à orner l’entrée du Grand Palais, pendant l’exposition des arts décoratifs de 1925. Elle fut ensuite entreposée au musée des marbres, attendant l’hypothétique construction d’un palais des Arts Décoratifs Modernes à Paris.
La France à Briançon
C’est là que Maurice Petsche intervient. Élu député Républicain de gauche des Hautes-Alpes, canton de Briançon, dont il deviendra citoyen d’honneur, il conservera ce mandat jusqu’à la guerre. Il occupera plusieurs postes de sous-secrétaire d’État et de Ministre de 1929 jusqu’à sa mort en 1951. Il est sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts quand il découvre la statue au musée des marbres, à l’abandon, gisant au sol, sans emploi. Aussitôt, il prend contact avec la veuve du sculpteur et en fait l’acquisition pour sa ville, Briançon. Elle mesure 4,55 m, elle est placée sur une terrasse au fort du Château, le regard porté au-delà des cimes des Alpes, telle que nous pouvons la voir aujourd’hui, où l'on parle de déplacer l’antenne relais qui accompagne la statue ( À suivre...)
L'Esplanade du Cours Foucault à Montauban
Une épreuve haute de 9 mètres, l’exemplaire N°3 fondu par Rudier est acquise par la ville d’Alger et placée en avril 1935 à l’entrée de la foire d’Alger. Puis on la dresse sur les terrasses du Musée de Beaux-Arts, où elle scrute sans relâche l’horizon face à la Méditerranée. Symbole de la France, la statue est plastiquée par l’OAS un soir de novembre 1961. Le socle est entièrement pulvérisé et la « France » disloquée. Les morceaux sont entreposés dans un dépôt et après quelques péripéties envoyés en France où la statue est reconstituée et installée au musée du Souvenir de Coëtquidan où on peut encore la voir.
Une quatrième épreuve fondue par Hohwiller fut érigée le 18 juin 1948 sur le parvis du Musée d’Art Moderne de Paris au Palais de Tokyo. Monument de La France Libre Elle était destinée à commémorer l’appel du 18 juin. Sur son socle, une phrase de Charles Péguy : « Mère, voici vos fils qui se sont tant battus ». Il existe également une reproduction de l’œuvre fondue pour être installé devant l'école de droit de Clermont-Ferrand, ce tirage fait partie des rares reproductions de l'œuvre autorisées par les héritiers de l'artiste.
Alger, Montauban, Briançon, Paris, Coëtquidan, Clermont-Ferrand, La France semble scruter tous les horizons.
Tombe de Maurice Petsche au cimetière de Puy-Saint-Pierre sur les hauteurs de Briançon
La France de Bourdelle vous souhaite une belle Journée Internationale des droits des femmes
Et c'est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres
Anne Sylvestre