Chronique du bel automne haut-alpin
Ou l'automne au jour le jour dans les Hautes-Alpes.
Depuis le 22 septembre et jusqu'au 17 octobre, je suis allée à la rencontre, en photos, en lumière, de la plus belle saison en montagne, avant la pluie annoncée pour les jours prochains, car la pluie risque bien de diluer les couleurs et de précipiter les feuilles au sol.
Et si les feuilles mortes n'étaient qu'endormies ?
Sylvain Tesson (Aphorismes dans les herbes et autres propos de la nuit, Pocket, 2014)
Le 22 septembre, La Grande France d'Antoine Bourdelle qui scrute au loin on ne sait quoi, serait la première à l'annoncer... (en réalité et dans l'esprit du sculpteur, elle scrutait l'arrivée des américains en 1917)
Un vingt-deux de septembre au diable vous partîtes
Et, depuis, chaque année, à la date susdite
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre
Plus une seule larme à me mettre aux paupières
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous
On ne reverra plus au temps des feuilles mortes
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous...
(Georges Brassens)
Et c'est une quinzaine de jours plus tard, le 5 octobre exactement, que le soleil traversa les premiers ors en Vallouise...
Le 7 octobre, à Ailefroide, à 1500 mètres d'altitude (hameau de Vallouise-Pelvoux), on se pressait de terminer de couvrir la chapelle Saint-Pierre et Saint-Paul, avant la neige...
Déjà, le soleil éclairait en poursuite les premiers mélèzes couleurs d'automne,
et l'eau du canal charriait de l'or.
Le 10 octobre, c'est à La Bessée (L'Argentière-La Bessée) que je suis allée interviewer l'automne. J'ai vu que les toits de tôle, le clocher de l'église Saint-Michel, la roche et les petits arbres rouges s'accordaient sur une palette où le bleu du ciel n'était pas une erreur !
Sous la rangée d'arbres mordorés,
un alignement de tombes
et l'érable que je ne voyais plus me parle d'une xylographie japonaise...
Dimanche 13 octobre, c'est au Lauzet de La Roche-de-Rame qu'il fallait être !
Pour les mélèzes à 1800 mètres d'altitude, pour la lumière,
pour la paix et le silence troublé par le murmure d'une source cachée sous des branchages et des pierres au pied d'un mélèze. Il fallait se pencher pour écouter les secrets du profond de la terre, poser sa main sur le tronc pour sentir les vibrations de l'eau...
Et prendre de la hauteur, c'est découvrir l'automne... du ciel. (la Roche-de-Rame et le massif des Écrins dans les nuages)
Lundi 14 octobre, les couleurs et les formes du Domaine de Charance...
démontraient encore une fois que l'automne commence plus tôt en altitude... Gap est à 700 mètres.
Marcher dans le bois de Charance, s'arrêter et lever la tête sur le houppier du marronnier...
La pluie est tombée en abondance le 15 octobre et à 14 heures, les derniers nuages ont dévoilé un paysage lavé et intact de ses couleurs, une Tête de Dormillouse toute blanche, encore plus grande et majestueuse...
Et le Mélézin à Briançon, un peu plus tard...
Mercredi, à Champcella on entraînait brebis, agneaux et chiens... ça courait, ça bêlait, ça sonnaillait, ça aboyait, les bergers sifflaient !
Ici, la Paix... la guerre est si loin et pourtant si proche, au même moment...
L'air était automnal, à la fois vif et tiédi par le soleil. On était comme enveloppé dans sa douceur. Une petite brise montait de la vallée.
Jeudi 17, dernière sortie avant la pluie en forêt de Boscodon (Crots). De très vieux et sombres sapins laissent la place à un sentier qui grimpe près d'un torrent violent, de la roche ardoisière noire, quelques trouées s'ouvrent sur des pentes feuillues en habit d'Arlequin d'automne, sous un ciel gris perle d'avant la pluie... et même si je pense à l'ours de saint Arey qui pourrait apparaître et surgir d’un obscur sous bois ... je m'y sens bien.
L'ours de saint Arey ? Saint Arey était un évêque de Gap et comme il revenait de Rome, un ours attaqua son convoi au col de Montgenèvre et tua un des bœufs du charroi, mais l'évêque dompta l'ours et l'attela à la place du bœuf. Rentré à Gap, l'ours devint la coqueluche des habitants qui lui offrirent un collier en or et en argent...
Longtemps après, les moines de l'abbaye trouvèrent dans la forêt de Boscodon les restes de l'ours près d'une fontaine, la fontaine de l'ours... mais pas son collier. On dit que le cruel torrent de Boscodon qui ravage tout quand il sort de son lit, se calmera... quand on retrouvera le collier. Autant dire... jamais !
Les feuilles sont celles d'un même arbre, l'érable. Semblables, elles sont toutes différentes.
L'automne c'est encore un peu de transparence... bulles légères sur solidité de la roche en camaïeu de gris, broderie sur de la pierre.
Et c'est, avec leurs ombres qui s'allongent, deux ânes à la démarche lente dans un pré. L'automne va passer aussi vite qu'il est venu. Combien de pluies, de balades en forêt, combien de pelletées de neige, de sorties à ski, d'explosions de bourgeons, de chants de merle, de cueillettes de narcisses, de naissances d'abeilles, combien de renardeaux et d'écureuils au jardin, de baignades au lac, de longues soirées d'été et de levers de soleil, avant de revoir ses richesses ?