Mont-Dauphin, les chemins de l'eau de la pierre et du feu
Le temps d'une rando, remonter jusqu'à la source, jusqu'aux carrières de pierre rose, jusqu'au feu des fours à chaux.
Le temps d'une rando, remonter le temps avec les bâtisseurs de la Place Forte Vauban, mais aussi avec les villageois, leurs coutumes, l'eau et la pierre, de la source à la carrière et au feu, retourner quelques siècles en arrière...
Nul besoin de vaisseau, de machine compliquée. Il suffit de suivre le sentier historique des hameaux d'Eygliers et le chemin de l'eau jusqu'à la source de la Loubatière.
Lorsque le Maréchal de Catinat propose à Vauban le plateau des Millaures (mille vents) ou plateau Saint-Antoine de Bouchet, (ancien nom de la commune d'Eygliers) pour y construire une place forte, il sait bien que toutes les conditions sont réunies pour l'observation et la défense d'une région qui vient de subir l'invasion et les destructions du Duc de Savoie lors de la guerre d'Augsbourg en 1692.
Mais pas seulement. Ici, à la confluence du Guil et de la Durance, on trouve aussi des pierres, de l'eau, des plateaux cultivables, des pierres et des fours à chaux, des arbres... tout ce qu'il faut pour construire et pour vivre. Et même si ce plateau est dépourvu d'eau, sources et torrents dévalent la montagne à l'est et fourniront l'eau qui viendra alimenter la forteresse. Pour cela, on va aller chercher et canaliser l'eau de la source de la Loubatière, au pied de la Montagne de Catinat, à plus de deux kilomètres de là. L'eau fut conduite à la place grâce à des bourneaux, ou canalisations souterraines creusées dans des troncs de mélèze, qui furent vite remplacés par des tuyaux de céramique et de fonte.
La chignole à creuser des bourneaux des Passeurs de mémoire de La Roche-de-Rame
L'idée de cette randonnée, proposée par l'association du Pays Guillestrin, était de remonter jusqu'à la source de la Combe de Loubatière, en traversant le village d'Eygliers et ses hameaux, en y cherchant les traces laissées par les constructeurs de la Place Forte, que ce soit dans le captage de l'eau, les carrières de pierre rose, la vie des hameaux... Ici, l'eau (nombreux torrents et sources ) a donné son nom aux villages et hameaux : Eygliers, anciennement Aigliers de "eau" en occitan, La Font-d'Eygliers, plus gros hameau de la commune, vient de "fontaine"...
À Eygliers, nous entrerons tout d'abord dans l'église Saint-Antoine construite entre 1457 et 1494 sous l'épiscopat de Jean Bayle qui a donné l'autorisation de la création de la paroisse Saint-Antoine-de-Bouchet et dont les armoiries sont sculptées sur l'un des chapiteaux de la nef. L'édifice est construit en blocage de moellons de calcaire de petit appareil et galets de rivière noyés dans un mortier de chaux le tout recouvert d'un enduit. Les chaînes-d'angles, encadrements des baies et colonnes sont en marbre rose de Guillestre. Le clocher de plan carré, accolé à la façade ouest, est terminé par une flèche polygonale en tuf cantonnée de pyramidions aux angles. Le toit à longs pans et l'appentis sont couverts de dalles de schiste. (inventaire général du patrimoine culturel PACA)
Pierre rose de Guillestre, tuf, moellons de calcaire, galets de rivière, mortier et enduit de chaux, dalles de schiste... tous les matériaux utiles sont bien là !
En 1968, le déplacement de la chaire à prêcher a permis la découverte de peintures murales de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. Il s'agit probablement de la légende du "pendu dépendu" que l'on retrouve dans d'autres chapelles dédiées à saint Jacques et qui accueillaient des pèlerins. La légende est à retrouver ICI . L'église a été restaurée en 1984.
Sur le chevet, un tableau attribué à Louis Court, peintre religieux de talent du XVIIIe siècle, né à Guillestre : Saint Antoine guérissant.
Dans le village, nous relèverons quelques dates sur de vieilles maisons : belle ferronnerie artisanale datée 1850...
Linteau de porte gravé d'initiales et d'une date : 1807
Pigeonnier en pignon
Vieille remise au toit en ardoises qui menace de s'écrouler mais abrite encore du matériel agricole ancien...
Et nous continuerons sur la route aux chardons bleus...
Jusqu'à cette construction du XVIIIe siècle, qui abrite une vanne de décharge sur le trajet des canalisations souterraines.
Tout le circuit des canalisations est signalé par ces bornes, en pierre rose, granit ou béton, selon leur époque.
Nous voici devant une source qui sort du sol en chantonnant et remplit une petite mare.
Plus haut, une carrière de pierre rose dite "marbre de Guillestre". Au premier plan, on voit bien le filon rose et plus haut à gauche sur la photo, un col du haut duquel on extrayait et on jetait les pierres dans le vide...
Ce qui explique la présence de murs construits pour empêcher que les pierres ne tombent plus bas, sur les toits des maisons par exemple...
Le pré où nait la source de la Loubatière (de Loube, loup). Du silence enfermé dans l'enclos de grillage, une petite construction d'accès à une citerne. Mais sous terre partent les canalisations qui débaroulent jusqu'à la Place Forte. C'est là que nous emprunterons...
le chemin historique de la descente qui nous mènera au hameau de La Font.
Quelques constructions encore de regard sur les canalisations, fleuries de valériane, fleur des prairies et bois humides, fossés et bords des eaux courantes... (cliquer sur les photos pour les agrandir)
Descente avec la vue sur Eygliers et ses hameaux, sur Mont-Dauphin et sur le Guil.
Une autre carrière avec un autre joli mur de protection
Le sentier chargé d'histoire conduit nos pas au hameau de La Font
Un linteau de porte gravé 1560. Le four "pas banal" qui abrite 3 fours ! Signe certainement de la présence de garnisons dans ce hameau.
La petite place aux fontaines et lavoir et l'about d'une poutre de charpente avec la date de 1725
Les ruelles et les escaliers fleurissent
Nous ne quitterons pas La Font sans rendre visite à la Fontête qui crache son eau au bord de la petite route et alimente un lavoir et un Naï (bassin de rouissage du chanvre), de l'autre côté de la route en contrebas...
Et le feu ? Et les fours à chaux ? Il y en avait beaucoup dans cette vallée et sur les versants de Risoul tout proche. Ils étaient construits là où l'on trouvait les pierres bleues dites "à chaux". Ils nécessitaient d'allumer de grands feux et de les entretenir jour et nuit... Toute cette économie a contribué à la déforestation des montagnes. On n'en a pas encore retrouvé sur les pentes d'Eygliers, mais l'Association Géologique et Minière du Briançonnais les a reconstruits sur la commune de Villar-Saint-Pancrace et les allume chaque année pour la Fête des savoir-faire oubliés, ici sur la photo...
Et pour finir, le viaduc de conduite de la source de la Loubatière à la Place Forte Vauban de Mont-Dauphin...
Merci à André, notre guide passionné et à l'Association du Pays Guillestrin, pour cette visite... historique !
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Société Géologique et Minière du Briançonnais