L'intérieur de l'église de la Transfiguration - Saint-Sauveur (Embrunais)
Pour Noël nous sommes allés au village de Saint-Sauveur, avec sa superbe église de la Transfiguration qui surplombe le Lac de Serre-Ponçon.
Une semaine plus tard, le paysage est transformé : la neige est tombée et le plan d'eau d'Embrun, en amont du lac, est en partie pris par la glace.
L'intérieur de l'église avec le choeur en croisée d'ogives,
et une voute en berceau, a "bénéficié" au XIXe siècle, de nouveaux enduits avec décors peints en trompe l'oeil de faux-marbre.
En 1985, des sondages ont fait découvrir des fresques ou décors peints. Sur l'arc triomphal, une scène de la Transfiguration avec un Christ en croix en bois sculpté fin XVe-début XVIe siècle. La Transfiguration est un épisode de la vie de Jésus-Christ relaté par 3 des 4 Évangiles. Il s'agit d'un changement d'apparence corporelle de Jésus pendant quelques instants de sa vie terrestre, pour révéler sa nature divine à trois disciples, afin qu'ils reconnaissent en lui, le Messie, le Sauveur. Le Christ apparut à ses disciples effarés, vêtu de blanc, en pleine lumière et entouré de Moïse et Elie. Cette scène est la préfiguration de l'état corporel annoncé aux chrétiens pour leur propre résurrection.
On a cru d'abord que le Christ en croix, avait été ajouté après et ne faisait pas partie de la scène. Des études ont prouvé qu'il s'inscrivait parfaitement dans la fresque. Un phylactère peint au-dessus de la croix confirme cette hypothèse. Le Christ a été lui-même repeint au XIXe siècle et il reste à définir ses couleurs d'origine.
De part et d'autre de la croix, on distingue Moïse et Elie.
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Ce Christ en bois sculpté qui se trouve au-dessus de la porte de la sacristie, daté du XVIe siècle, peut aider à retrouver les couleurs.
Il s'agit d'une représentation du Jugement Dernier, le Christ montrant ses plaies est entouré d'une "ribambelle" de Chérubins, visages d'anges à 4 ailes, et d'anges sonnant de la trompette ou portant des banderoles où sont inscrits des passages de la Bible en rapport avec le thème illustré.
Sur le pilier gauche de l'arc triomphal, une deuxième fresque, découverte au cours d'une des trois campagnes de restauration. On y voit un Saint portant un bâton et un Tau sur l'épaule.
Dessous, un sanglier qui dévore des fleurs et porte une clochette et un personnage en prière en costume du XVIe siècle, probablement le donateur.
Il s'agit de saint Antoine. Antoine le Grand se retira au désert où le diable lui apparut plusieurs fois pour le tenter, prenant le forme d'animaux sauvages comme le sanglier. Saint Antoine est représenté avec un cochon portant une clochette. En Italie il est même appelé Antonio del porco ou saint Antoine des cochons. le cochon n'a rien à voir avec la vie du saint mais avec un ordre religieux fondé en Dauphiné, en 1095 (les Antonins) : les porcs n'avaient pas le droit d'errer librement dans les rues, à l'exception de ceux des Antonins, reconnaissables à leur clochette. Mais Saint-Antoine est aussi lié à la maladie appelée "ergotisme" ou feu de Saint-Antoine, ou mal des ardents, due à l'ergot de seigle, un champignon qui provoque des lésions cutanées douloureuses et des hallucinations. Le champignon intervient dans la composition du LSD. Au Moyen-Âge, un seigneur du Dauphiné, Jocelin de Châteauneuf, accompagné par son beau-Frère Guigues Disdier, ramenèrent de Constantinople les ossements de Saint-Antoine, qui avait vaincu les feux de la tentation. Un jeune noble, Guérin de Valloire, atteint par le feu sacré, fait vœu, en cas de guérison, de se consacrer aux malades. Il est sauvé et fonde une communauté qui va se faire connaître sous le nom de compagnie charitable des frères de l'aumône. Regroupée dans un hôpital dédié à saint Antoine, la communauté recueille et soigne les malades atteints du mal des ardents. Des pèlerinages étaient souvent couronnés de succès, le pèlerin s'éloignant de la source de pain fabriqué à partir du seigle ergoté le temps que les stocks soient écoulés. On attribuait alors la guérison à saint Antoine, le saint patron des ergotiques. La maladie frappait l'été, au moment où l’on consommait la nouvelle récolte. Cette fresque est donc un mélange de croyances, le sanglier-diable portant la clochette des cochons des antonins et dévorant des fleurs de pavot (identifiée grâce à la feuille), dont la capsule du fruit contient l'opium... les effets de l'opium pouvant être assimilés à ceux de l'ergot de seigle.
Sur la gauche du choeur, cette fresque représente un saint non identifié et la tour signe l'oeuvre d'artistes italiens.
Dans un des deux transepts, cette fresque très abîmée semble représenter le légende de saint Arey et la fontaine de l'ours, à lire ici. On devine de par l'utilisation de "cases" (terme de bande dessinée) qu'une histoire est racontée ici. Des sabots d'animal, une roue, un personnage avec une mitre et un grand animal, certainement un ours, orientent vers l'identification de cette légende.
En face, une crucifixion...
et Marie dans les bras de sa mère sainte Anne, entourée de saint Etienne reconnaissable à sa bosse de la lapidation et d'un Évêque, probablement saint Marcellin, premier Évêque d'Embrun.
Sur les chapiteaux des colonnes, on trouve ces motifs caractéristiques de l'art roman.
Avec pas moins de 3 masques à la langue tirée, comme sur la façade de l'église des Cordeliers de Briançon et sur celle de l'église Saint Apollinaire de L'Argentière-La Bessée. Dans la symbolique, la langue est considérée comme une flamme, elle en possède la mobilité et la forme, elle détruit ou elle purifie. En tant qu'instrument de la parole, elle a d'immenses pouvoirs dont celui de juger. Elle peut être juste ou perverse, arrogante, mensongère et méchante... Vie et mort appartiennent à son pouvoir. "Beaucoup sont tombés sous le tranchant de l'épée, mais moins que ceux qui sont tombés à cause de la langue." (Ecclesiaste. 28,18)
Complétant le mobilier, des vitraux du XIXe siècle, dont cette émouvante Vierge à l'Enfant.
Merci à la Communauté de communes de l'Embrunais et ses visites du Patrimoine, brillamment menées par Corinne Clivio, guide conférencière agréée par le Ministère de la Culture.
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Noël sur le lac : Saint-Sauveur et son église