La chapelle de saint-Guillaume et sa légende - Eygliers - (Guillestrois)
Cette histoire se passe en 1202, sur les rives de la Durance, tout près de sa confluence avec le Guil. Ici vivait Guillaume, qu'on appellait aussi Guilhem, un petit berger qui était né sans main droite. C'était le temps des seigneurs et des paysans. C'était aussi le temps des moines qui avaient fondé un hospice, dépendant de l'abbaye d'Oulx en Piémont. Cet hospice se nommait Notre-Dame de Calmes. Guilhem connaissait bien les moines : du haut de ses alpages, il les avait vus défricher toute une zone agricole vers le hameau du Cros où il était né. Il savait qu'ils accueillaient les passants en difficulté arrêtés quelquefois par les crues des rivières et des torrents, les pèlerins qui se rendaient à Rome ou à Jérusalem, les voyageurs à pied ou à cheval. Hospice, relais de poste, hôtel, monastère, notre hospice était tout cela.
Un jour, comme il gardait ses brebis, il entendit un grondement sourd. C'était celui du Guil et de la Durance qui roulaient leurs eaux de crue de printemps. Une force irrésistible le poussa à courir jusqu'à Notre-Dame de Calmes pour avertir les moines de la montée des eaux... On ne l'écouta pas "Guillaume, occupe-toi de tes moutons et laisse à Dieu le soin de régler le ciel et la terre !".
Il revint plusieurs fois dans la journée, poussé par une même force qui le bouleversait, pour tenter de convaincre les moines. Dans la nuit, Guillaume, couché sur la paille de son châlit, entendit la pluie et le vent qui redoublaient de violence. Quand il s'éveilla, après une nuit difficile, peuplée d'anges et de démons, de moines et d'inondations, il se frotta les yeux... Avec les deux mains ! Dieu lui avait offert une main toute neuve, afin qu'il puisse convaincre les moines. Il virent et ils crurent ! Ils firent leurs dernières prières, fermèrent à clé les portes du monastère, alertèrent les villageois, et tout le monde alla se réfugier plus haut sur la montagne, au pied de la grand falaise de poudinge. Le flot brutal des eaux des rivières emporta tout, il ne resta plus rien du monastère et du village.
Les moines bâtissent alors un nouveau monastère au pied du rocher de Mont-Dauphin où se trouve la chapelle. Unissant leurs efforts, les habitants des vallées vont au cours des siècles reconquérir les terres de la plaine et emprisonner le Guil et la Durance dans un lit de pierres et de gabions. Accueilli et instruit par les moines, Guillaume devient lui-même religieux puis prieur.
A la mort de Guillaume, la main venue du ciel refusa de rester en terre. On la plaça dans une chasse en argent et elle fit l'objet de prières et de pèlerinages pendant tout le Moyen-Âge. Au XVIe siècle certains archevêques d'Embrun doutèrent de cette histoire. Tout fut fait pour essayer d'empêcher le culte de Guillaume devenu saint. La main accomplit pourtant des miracles : lorsqu'on présente la main, l'incendie du village d'Eygliers est arrêté, elle guérit la jambe gangrenée d'un notaire de Saint-Crépin, elle fait marcher un paralytique de Réotier ! On dit aussi que lors de la construction de la place forte de Mont-Dauphin, l'ingénieur qui manquait de pierres de tuf pour construire les fours à pain, ordonna qu'on prenne celles du Choeur de la chapelle. Le pain ne put jamais cuire dans ces fours, jusqu'à ce qu'il ait rétabli la voûte du lieu saint... Rien n'arrêta pendant 700 ans la ferveur des habitants du pays !
La toiture et le clocheton en bois viennent d'être restaurés.
La chapelle est fermée toute l'année sauf le lundi de Pâques, où depuis le Moyen-Âge on monte la relique en procession. Il faut imaginer les villageois descendant de Guillestre, Risoul Réotier et d'ailleurs, bannières en tête et chantant des cantiques, pour rejoindre la petite chapelle.
D'origine romane, la chapelle se compose d'une nef unique accostée d'une abside demi-circulaire. Six trous de boulin indiquent la présence d'un ancien auvent disparu.
Dans le choeur, deux statues : Saint-Guillaume et la Vierge.
Détail d'un tableau où on voit un ange offrir une main à Guillaume
L'arc triomphal porte la date 1853 et l'inscription peinte "Saint-Guillaume priez pour nous" dans un cartouche chantourné.
Une Messe est dite, en plein-air, près de la main de Saint-Guillaume. Rien n'a changé depuis le Moyen-äge !
Des marchands d'arbres, de volailles, d'outils, de socs de charrue permettaient de faire quelques affaires.
Aujourd'hui, c'est un marché de produits régionaux qui s'installe.
La procession, la Messe et le marché attirent encore beaucoup de monde.
La tradition veut qu'après les cérémonies religieuses on "gouteronne" sur l'herbe encore grise des morsures de l'hiver, on "toque" les œufs durs. Celui dont l'œuf résiste le plus longtemps est le vainqueur : le perdant donne son œuf ou paye un coup à boire. C'est un moment de liesse populaire, de retrouvailles, de joie simple.
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Une dédicace spéciale pour Colette et Maurice qui se sont mariés dans cette chapelle...
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- Source : Association Pays-Guillestrin
- Dessin de Guilhem tiré du document édité par la Maison du Tourisme "Forêt blanche" à Saint-Clément