Les passeurs de mémoire - La Roche-de-Rame (Pays des Ecrins)
Rediffusion d'un article de 2013, en mémoire de Louis Reynaud qui nous a quittés cette semaine.
Avec admiration...
Ils se réunissent tous les mardis dans l'ancienne écurie de Francis, qui est devenu un musée... Là, ils tressent l'osier, se racontent des histoires, boivent le vin clairet de Réotier qui râpe un peu...
"Quand j'ai vu que les gens se débarrassaient de leurs vieux outils, des vieilles machines, j'ai dit : c'est pas possible ! Moi, j'avais vu mes parents les utiliser, enfant, j'avais travaillé avec eux..."
Francis, ému, raconte qu'il ne suffisait pas de collectionner, d'accumuler les vieilles choses dans une écurie, il fallait aussi leur donner une seconde vie ! Alors avec d'autres passionnés, il a décidé de remettre en marche et de réutiliser ces outils et ces machines d'autrefois.
Photo : Philippe Perrin
Aujourd'hui, on peut voir les "passeurs" sur les fêtes de village, où ils apprennent aux plus jeunes à fabriquer l'huile de noix et l'huile de marmotte, à faire du café avec de l'orge, à lier des bottes de foin ou des fagots avec les clés à lier... et comment on éteignait un feu avec la pompe à incendie. Ils ont aussi semé les lentilles et le petit épeautre, qu'ils ont moissonné, battu,mis à sécher...
L'huile de noix
D'abord, il faut casser les noix avec un marteau en bois...
Elles tombent dans un panier et on les trie...
Puis on broie les beaux cerneaux dans un hachoir...
Ou un moulin à café...
Enfin, c'est le pressoir, d'où s'écoulera la belle huile dorée.
L'huile de marmotte
Les passeurs ont également réussi à fabriquer de l'huile de marmotte... Mystère ?
La prune de Briançon ou affatchou ou... d'autres noms encore selon les vallées...est une espèce endémique des Hautes-Alpes qui pousse sur un prunier appelé aussi "marmottier". Après avoir fait les confitures avec la pulpe (très acide), on casse les noyaux et on récupère l'amande qu'on presse pour extraire l'huile de marmotte !
Les passeurs ont cassé 14000 noyaux, et ont obtenu....3/4 L d'huile ! Les anciens avaient du courage...
Le café d'orge
Durant les deux guerres mondiales, on remplaça le café par de l'orge torréfié. Cette boisson agréable et sans de caféïne est encore consommée en Italie sous le nom de caffe d'orzo. Dans les Hautes-Alpes on ne trouvait pas de café, ou on n'avait pas les moyens d'en acheter, alors on torréfiait l'orge dans cette machine.
On fait un feu de bois dans le bidon, on remplit la boule noire de grains d'orge...
On ferme et on tourne...
Et si par accident on mettait le feu à l'écurie... et bien on appellerait les pompiers et leur...
Pompe à incendie
On installait sur cette charrette...
La pompe qui fonctionne encore, grâce aux passeurs. On la remplissait d'eau à l'aide de seaux en toile ...
Enfin, pour ce modèle qui date de 1874, du temps où La-Roche-De-Rame s'appelait encore La Roche sous Briançon. Depuis elle s'est dotée d'une particule, celle des Seigneurs de Rame...
La voici entière, exposée sous la gloriette à l'entrée du "château" de La Roche, récemment restauré. (photo janvier 2016)
Les clés à lier
On les fabriquait l'hiver quand la neige recouvrait tout ; à la veillée on se racontait des histoires, dans l'écurie où toute la famille se tenait pour avoir chaud.
Chacun y gravait ses initiales. on l'appelait Tacoule à Briançon, Tacoure à Embrun, Arigne à Fressinières, Neille à La Roche de Rame, Maneille à Puy-Sanières.... C'est l'un des outils les plus simples et les plus fonctionnels que la culture paysanne ait été en mesure de produire en perfectionnant les formes. Elle sert à tout lier : les balles de foin ou de paille, les fagots, les charges sur les bêtes de somme... Elle permet de nouer et dénouer rapidement la corde, même quand celle-ci a durci à la pluie ou s'est emmêlée.
Les passeurs de mémoire ne se déplacent jamais sans emporter leur vieux fourneau en fonte "le grenoblois". Ici, Francis fait cuire les pommes de terre qui accompagneront la pièce de gibier qu'un chasseur a préparée...
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Le dernier article du patoisant Louis Reynaud dans Nostre Ristouras n°10 : page n° 8 / 8, bulletin de l'Association Patrimoine de La Roche-de-Rame
La Lengo dóu Païs n° 10
Un souvenir de mon grand père, par Louis
Dans mon enfance, j'éprouvais un fort intérêt pour les grands parents des enfants de mon âge, car je n'ai pas connu de grands parents, ni maternels, ni paternels. Aussi, lorsque quelqu'un de la famille ou du village me parlait d'eux, j'étais très intéressé. C'est ainsi qu'un jour, passant au Mas des Bonnaffés, en discutant avec le Mile Baïle, de l'époque où les agriculteurs portaient leurs fruits à Briançon, il me dit : "Tiens, ça me rapelle une histoire avec ton grand père, lou Tienoun dóu Brand. C'était un matin tôt, dans la nuit noire, qu'en arrivant au bout de la plaine à Maison Blein, mon mulet comprit qu'on allait plus loin, et il refusa soudain d'avancer. J'avais beau lui cingler l'arrière train avec les rênes, en criant Hue de ma voix la plus forte et en tirant sur la bride, il n'en avait rien à faire ! C'est que j'étais encore jeune et mon mulet déjà vieux et bien têtu ! Soudain, on entendit une voix, bien claire et assez forte qui venait de derrière ma charrette : Vas-tu avancer, bougre d'âne ? Carne ! Attends que j'arrive et tu vas voir ! Et aussitôt, mon mulet consentit à avancer. C'était ton grand père qui arrivait lui aussi avec son mulet et sa charrette de fruit. Pour finir, nous fîmes route ensemble jusqu'à Briançon, sans que mon mulet ne fît de nouveau sa mauvaise tête.
Un souveni de moun grand paire, pèr Louïs.
Quand èrou jouve, m'interessavou toujour i grand paire dous meina de moun age, pèrque n'ai pas couneishu mi grand paire tan bèn dóu caire de moun paire que de ma maire. Peréu, quouro cauqun de la familho ou dóu vilage me parlavo d'éli, erou forço interessa. Es coum'aco, qu'un jour, en passant au Mas de Bouonafé e, parlant embé lou Mile Baile, dóu tèms passa ounte lous paisant pourtavoun la frucho à Briançoun, me di : "Té, acò me rapelo couquarin embé toun grand paire, lou Tienoun dóu Brand. De matin, quouro fasiò enca escur, en arribant à la fin dóu plan, à Meisoun Blein, moun miòu a coumpres qu'anavan mai luen e d'un còp a plu vougu avança. Avìu bèu li savascla lou cuòu embé les guido, brama Hu de ma grosso vouès, li tirassa la testo embé la brido, n'en aviò rèn à foutre ! Es que iéu érou enca bèn jouve e moun miòu jà prou vieil e bèn testard ! D'un còp aven ouvi uno vouès bèn claro e prou forto que veniò de darrière ma chareto : Vas avança, bougre d'ase, vièio carno? Espèro qu'arribou e vas veire ! Alouro, moun miòu a bèn vougu avança. Ero toun grand paire qu'arribavo, éu peréu, embé soun miòu e sa charreto de frucho. À la fin, avèn fa ensèn lou viage, dinque Briançoun, senso que moun miòu tournèsse faire sa marrio testo. Lou merchant de puer gapian, per Michéu, lou Champsaurin.
Le Marchand de cochon gapençais, par Michel, le Champsaurin. Il y avait un éleveur-marchand de cochon des environs de Gap, un des premiers à développer industriellement son activité et qui était bien connu après guerre. Un jour, un visiteur demanda à le voir en s'adressant au fils de la maison. Celui-ci le renseigna aussitôt en lui disant : Mon père est avec ses cochons, là-bas, dans l'enclos. Oh ! Vous ne pouvez pas le manquer, c'est le seul à porter un bonnet rouge !
Li aviò un elevaire-merchant de puer dins les enviroun de Gap, un dous proumié à desveloupa industrialamen soun atività e qu'ero bèn couneishu après guerro. Un jour, un visitur a vougu lou rescountra en demandant à soun mendi. Aquéu l'infourmá sus lou còp, ié disent : Moun paire es au miéi de sus puer, eilài, dins l'enclaus . Oh! Poudès pas lou manca, es lou soulet à pourta un bounet rouge ! Texte de Louis e viraduro de Patoïsant Rouchoun
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