L'Horloge des Hermes - L'Argentière-La Bessée (Pays des Ecrins)
Mais quelle est donc cette tour à la curieuse architecture qui domine l'Argentière, plantée sur son rocher comme un phare ?
C'est la question que se posent à peu près tous les nouveaux visiteurs de ce bourg au riche passé industriel, à la fascinante histoire, que nous allons visiter et explorer ensemble.
La construction de la tour (collection Pogneaux)
L'histoire de l'Horloge des Hermes, aujourd'hui classée "Patrimoine du XXe siècle" commence le 25 octobre 1916, date à laquelle un bail est signé entre M. Gilbert Planche (ingénieur venu à l'Argentière installer des usines hydroélectriques), ses ayant-droit et la commune. Ce bail concernait la cession des droits communaux aux abords du torrent du Fournel.
Le 18 janvier 1920, M. Alliey, maire de L'Argentière écrit à M. Maljournal, directeur des Usines du Quartz :
"Les articles 3 et 4 stipulent que le preneur s'engage à fournir et à mettre en place dans le délai de un an à dater de l'approbation préfectorale des présentes, deux horloges d'une des meilleures marques modernes d'une valeur de 1500,00 francs chacune avec 4 cadrans d'un mètre de diamètre, sonnant les heures et les demies, l'une destinée au clocher de l'église de L'Argentière, l'autre est destinée au clocher de l'église de La Bessée-du-Milieu."
Mais la première guerre mondiale n'a pas permis à M. Planche de faire réaliser ces deux installations.
Le conseil municipal de janvier 1920 remet cette question sur la table, et statue que dans un souci d'utilité publique et d'économie, une seule horloge serait installée "dans une tour à édifier au-dessus de la gare sur le rocher dit des Hermes. Cette tour recevra une horloge dont le diamètre des 4 cadrans serait supérieur à un mètre. M. Glaizette, architecte a été chargé de s'occuper de cette affaire." Le maire, M. Alliey, stipule à M. Maljournal que cette charge lui incombe, car il s'est entre temps substitué à M. Planche. Une abondante et savoureuse correspondance s'échange alors entre M. Alliey et M. Maljournal qui traîne les pieds, et quelques tractations plus tard, et après un gros chantage, ce dernier en profite pour négocier de nouveaux terrains nécessaires à l'agrandissement de son usine et des devis sont réalisés par un architecte grenoblois et un horloger de Montpellier. En juin 1920, les travaux relatifs à cette horloge sont estimés à 45 000 francs. La Société du Quartz, par la voix de son directeur M. Maljournal fait savoir au maire qu'il n'a pas à payer pour la négligence de la municipalité qui aurait du mettre M. Planche en demeure de réaliser les travaux, et décide donc d'offrir une subvention de 10 000 francs à condition que la municipalité lui cède les terrains indispensables à son extension, ainsi que le déplacement du chemin rural.
On abandonna l'idée de doter les deux églises d'horloges, à cause d'un avis contraire des Beaux-Arts, et parce que les habitants des nouvelles cités industrielles de L'Argentière, ne pourraient pas voir ces cadrans. C'est pourquoi on choisit de construire cette tour, visible de tous et surtout des ouvriers.
C'est donc en 1922 que la construction de l'Horloge des Hermes sera achevée. Elle est le résultat d'une volonté municipale et non, comme on le croit souvent, le geste généreux d'un mécène industriel. (source : Gilbert Planche et L'Argentière-La Bessée, 100 ans d'hydorélectricité 1910-2010 - brochure éditée par la Mairie de L'Argentière-La Bessée, Editions du Fournel)
Cette horloge au pays des cadrans solaires, marque un passage, celui de l'ère agricole à l'ère industrielle. Au début du XXe siècle, les travaux de l'ingénieur-entrepreneur Gilbert Planche vont faire vivre à L'Argentière une véritable explosion démographique, qui verra sa population passer de quelques hameaux ruraux à 2000 habitants (2500 aujourd'hui).
Il nous reste à visiter l'intérieur de la tour...
Buste de Gilbert Planche
L'intérieur de la Tour des Hermes
Chose promise : voici quelques photos prises lors de ma visite de la tour, grâce et avec Bruno Ancel, archéologue attaché de conservation du patrimoine au service culturel de la Mairie de L'Argentière-La Bessée. Cette tour était dotée d'une horloge mécanique installée dès la construction, et qui fait l'objet de recherches (au sens propre comme au sens figuré) au sein du projet "Horloges d'Altitude", que vous pouvez consulter sur ce blog, ICI.
Mai 2019 : un ami de ce blog découvre le fabricant de l'horloge mécanique installée ici vers 1920 :
Il s'agirait donc de l'entreprise Mayet Fils à Grenoble, qui, à cette époque, installait des horloges Arsène Cretin L'Ange. Elle devait donc ressembler à celle-ci :
Merci à Olivier Condemine
C'est facile, il suffit de suivre les flèches ! Sur la porte a été apposée la plaque du label "Patrimoine du XXe siècle", obtenu en novembre 2000.
Dans l'entrée l'horloge d'édifice Bodet, modèle 1960, est en panne et va faire l'objet d'une modernisation, grâce à des financements de la Région, du Département et du Parc National des Ecrins. Les cadrans et la charpente seront également remis en état. (DL du 6-7-2013)
Une anecdote illustre la panne de l'horloge : une de mes amies qui habite dans le quartier de l'horloge avait l'habitude de se lever aux 7 coups sonnés par la cloche. Un matin elle compta avec la cloche : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7... puis 8, 9, 10... 15 ... 20... 30...35...40... à 250, elle s'arrêta de compter. Manifestement l'horloge avait "buggé" ! Cet incident signa la fin du fonctionnement de ce "service public" !
On emprunte l'escalier. Par l’oculus on jette un coup d’œil (et d'objectif) au beau paysage de l'Argentière...
Nous voici sur le "balcon" du campanile, tout près des cadrans... il y en a un sur chaque façade, et les aiguilles sont arrêtées, bien-sûr...
Quelques vues aériennes...
Vers le sud, vallée de la Durance
La zone industrielle et l'ancienne usine du Quartz
vers le nord...
Les gorges de la Durance, la conduite forcée en bas avec le fameux siphon lui aussi labellisé Patrimoine du XXe S
En descendant, on explore le clocher et l'ancienne "chambre de l'horloge", où devait être installée l'horloge de 1920
Hélas, l'accès à cette "chambre" n'est pas sécurisé et ne comporte pas d'échelle... Un peu frustrée, je ne pourrai donc pas aller rechercher les restes de cette horloge...
Puis nous descendons, et laissons cette insolite Tour des Hermes flirter avec le ciel d'orage...
Cette horloge a rythmé la vie des ouvriers de la zone industrielle pendant des dizaines d'années. Certains l'appelaient "l'horloge des patrons" qui pouvaient, grâce à elle, surveiller la ponctualité des employés. Elle était aussi l'amie de ceux-ci... pour d'autres raisons...
Tout le monde est impatient de pouvoir lire l'heure à ses cadrans, d'entendre à nouveau une cloche à L'Argentière, et de voir ses cadrans illuminés dans la nuit, comme un phare.
28 août 2013 : début des travaux
Les travaux de restauration de l'horloge ont commencé : voici 2 photos historiques : la tour sans ses cadrans, qui viennent d'être déposés par l'entreprise d'horlogerie d'édifice Bodet, afin de les réparer et de laisser l'entreprise Davin réaliser les travaux de charpente... A suivre !
8 octobre 2013 : la première tranche des travaux est terminée
L'horloge a retrouvé ses cadrans,
Elle donne l'heure à nouveau, et la cloche sonne les heures et un coup pour les demies, avec sa petite voix fluette... Un bonheur pour moi qui ne l'avais jamais entendue !
Avec le nouvel éclairage de son cadran qui la fait ressembler à un phare...