Les Pigeonniers
D’innombrables pigeonniers parsèment toutes les campagnes de France et les Hautes-Alpes ne contreviennent pas à cette règle...
Pigeonnier du chateau des seigneurs de Guillestre, aujourd'hui Maison de la Nature
Colombier ou pigeonnier ?
Colombe et pigeon appartiennent tous les deux à la même famille des Colombidae, la colombe serait la version blanche et plus petite du pigeon griset.
Colombier et pigeonnier sont synonymes et souvent utilisés l’un pour l’autre. Dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XI au XIVe siècle paru en 1859, Eugène Viollet-le-Duc, architecte du XIXe siècle, préconise de réserver le terme « colombier » à toutes les constructions d’avant 1789, quand était appliqué le « droit de colombier », le mot « pigeonnier » s’étant vulgarisé après la Révolution.
Historique des colombiers et des pigeonniers
Dans la Bible, la colombe envoyée par Noé revient avec un rameau d’olivier dans son bec qui signifie que les eaux du déluge ont commencé à se retirer, plus tard des pigeons sont offerts en sacrifice par Joseph et Marie (Saint-Luc) et l’Esprit Saint descend sur le Christ sous la forme d’une colombe…
Dans l'Antiquité, le pigeon était considéré comme un oiseau protégé des Dieux, et servait aux sacrifices. Pline l’Ancien raconte comment l’élevage des pigeons était devenu une véritable passion à Rome et que les tours fleurissaient sur les toits des maisons.
Dès cette époque, le pigeon est élevé pour sa chair très appréciée et pour sa fiente ou guano, appelée aussi « colombine », employée comme engrais.
En Syrie et en Égypte, les pigeons sont utilisés comme messagers, leur mystérieuse capacité à revenir toujours au nid a contribué à les sacraliser.
C’est lors des Conquêtes de l’Empire Romain et surtout des Croisades que l’art d’élever des pigeons et de construire des pigeonniers s’est répandu en Europe. En France on ne connaît pas d’exemples de colombiers antérieurs au Moyen-âge.
Dans les régions au nord de la Loire (Picardie, Bretagne, Normandie, Bourgogne, région de Paris, Metz…), les Coutumes édictent à partir de 1312 les articles qui délimitent les possibilités d’avoir le privilège de posséder un colombier : il faut restreindre le nombre de pigeons qui ravagent les cultures.
L’ordonnance royale de 1368 précise la qualité du prétendant à ces privilèges, ecclésiastique, aristocrate ou plébéien ainsi que la classification de la terre, noble ou roturière, soumise ou exemptée d’impositions.
Le seigneur haut-justicier peut avoir colombier à pied, sans que la quantité en soit limitée.
Le droit de colombier à pied était aussi concédé au seigneur non justicier ayant fief, censive et 50 arpents minimum (en moyenne 42 ares) de terres labourables à condition que ce colombier soit bâti sur le fief.
Quant aux particuliers, nobles ou roturiers, qui n’avaient ni fief ni censive, ils ne pouvaient avoir de colombiers, autres que sur solives ou sur piliers, volières ou volets (autrement dit colombier d’étage) et sous réserve d’avoir en domaine au minimum cinquante arpents de terres labourables et ces édifices ne devaient pas contenir plus de cinq cents boulins (ou nids).
Le droit de colombier n’ayant pas été respecté dans les faits, le nombre de colombiers se multiplia de façon déraisonnable, ainsi que les oiseaux nuisibles pour la population des campagnes, incapable de s’en protéger. Les paysans étaient contraints de supporter que des volées de centaines de pigeons s’abattent sur leurs champs pour s’y gaver à leurs dépens, étant interdit pour quiconque de tuer, blesser ou attraper des pigeons sous peine de lourdes amendes.
C’est pourquoi la question des colombiers est une de celles qui préoccupent le plus les cahiers de doléances rurales en 1789.
Dans la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée nationale proclame l’abolition de tous les droits dits de « féodalité dominante » dont celui de colombier. Le texte ne préconise pas la destruction des colombiers ni la disparition pure et simple du droit. Il le démocratise, chacun pouvant désormais avoir jouissance d’un colombier, s’il le désire ; les pigeonniers se multiplient dans certaines régions. Toutefois, après l’abolition du privilège du droit de colombier l’on put assister à la désaffection des grands colombiers en raison du fait que les pigeons devaient être enfermés à certaines époques jusqu’à huit mois de l’année, avec l’obligation de les nourrir à l’intérieur du colombier.
Saint-André 05140 La Faurie. Photo : François Queyrel
En France du Sud (Provence, région toulousaine ou bordelaise...), le droit d’avoir des pigeons est accordé à tous ceux qui ont assez de terre autour du pigeonnier pour faire picorer ces oiseaux voraces avec des réglementations limitant la capacité.
En Haute-Provence, sous l’Ancien Régime, les pigeonniers étaient exclus des privilèges seigneuriaux. C’est sans doute pour cette raison qu’ils sont si nombreux, bien souvent rustiques, à l’image de la vie âpre que menaient alors les paysans... Les pigeons étaient élevés pour un petit apport alimentaire, mais surtout pour la colombine, cet engrais naturel précieux réservé aux cultures délicates comme celle des jardins potagers ou des fleurs. Un pigeonnier moyen de 600 oiseaux permettait une récolte annuelle de quelques 1 200 kilogrammes de colombine.
Pigeonniers des Hautes-Alpes
La tour souvent installée au milieu d’une cour de ferme appelée colombier à pied et qui porte en théorie des nids ou « boulins » du rez-de-chaussée au sommet, est plutôt rare dans les Hautes-Alpes. On peut en voir au chateau des seigneurs de Guillestre, qui n'étaient autres que les archevêques d'Embrun, à Saint-Jean-Saint-Nicolas dans le Champsaur, à La Faurie, hameau de Saint-André et aux Vigneaux.
Les Vigneaux et Saint-Jean-Saint-Nicolas
Plus fréquents sont les pigeonniers attenant aux bâtiments, comme celui de la maison Fourrat de La Roche-de-Rame ou encore à Châteauroux-les-Alpes, à Embrun, à Réotier… Ils dominent le paysage de leurs constructions rondes ou carrées avec leurs toitures caractéristiques. On les appelle pigeonniers à fuies.
La Roche-de-Rame
Construit en 1842, l’hôtel Fourrat connut une notoriété qui dépassa les limites du canton et du département jusqu’aux années 1950. Ses clients venaient de loin pour y séjourner. On raconte que le 1er août 1914, le repas des noces de Joseph Victorien Albrand et de Joséphine Combal se déroulait à l’hôtel Fourrat, quand il fut interrompu par les gendarmes qui avaient attendu la fin de la noce pour venir chercher Joseph, mobilisé pour partir à la guerre… L’hôtel n’est plus habité depuis des dizaines d’années.
Dans la cour de l’hôtel, un pigeonnier s’avance au milieu d’autres bâtiments de ferme, avec son toit à deux pentes en bardeaux et ses treize trous et planches d’envol. Il raconte un temps ancien où l’on élevait des pigeons afin que la carte de l’hôtel puisse offrir ces volatiles dont la chair était appréciée, qu’ils soient rôtis aux petits pois, farcis à la provençale ou encore en salmis…
Le pigeonnier fut transformé en chambres, ce qui explique la présence d’une cheminée, et aujourd’hui l’intérieur n’est plus que plafonds écroulés, lits éventrés, lavabos cassés. Il offre son hospitalité aux araignées, aux souris et peut-être à quelque pigeon égaré qui, s’ennuyant au logis/Fut assez fou pour entreprendre/Un voyage en lointain pays.1
1Jean de La Fontaine, Les deux pigeons
Cette vieille ferme, qui semble inhabitée, possède une tour carrée attenant à l'habitation, et se trouve aux Moulinets-Hauts, hameau de Réotier.
Châteauroux-les-Alpes
Réotier (le Fournet)
L’élevage des pigeons n’ayant pas subi le Droit de Colombier sous l’ancien régime dans nos contrées, les vieilles maisons des Hautes-Alpes sont souvent percées de volets, petits refuges établis en étage ou en toiture, quelquefois en pignon de façade ou simplement sous auvent de toiture, parfois équipés de fermetures amovibles. Il suffit de lever les yeux vers les toits des maisons pour les identifier dans les villages et aussi dans les villes : on peut en voir sur certaines maisons, à Gap et à Briançon. Ces volets se nichent souvent au-dessus des ouvertures plus larges qui donnent sur les greniers à récoltes.
Château-Ville-Vieille (Queyras)
Les maisons qui possédaient des pigeonniers en forme de tour ont souvent été restaurées et transformées en gites de vacances ou Chambres d'Hôtes. Nombreux sont alors ces gites qui s'appellent "le pigeonnier" comme ici, à Eygliers
Puy-Saint-Vincent (Les Prés)
Gap
Déjà chez les Romains, le pigeon voyageur servait de messager, à des fins militaires, notamment. Le bâtiment à l’entrée de la Cité Vauban de Briançon est appelé aujourd'hui "Vieux Colombier" et servait de Magasin du Génie et de Colombier Militaire. Il y eut également un élevage à Mont-Dauphin dans les combles de la Tour de l’Horloge, jusqu’à la deuxième guerre mondiale.
Le pigeon voyageur sert encore aujourd'hui la passion des colombophiles et c'est un bonheur de voir revenir ces « sportifs » un à un au pigeonnier, après parfois de longs périples.
Vieux Colombier, Cité Vauban de Briançon
Aujourd’hui, les pigeonniers ne sont plus occupés par les pigeons. Leur chair est moins consommée et d’autres méthodes de culture ont remplacé le guano dans les jardins. Quant à leur rôle de messager, il a été peu à peu abandonné après la Première guerre mondiale.
Le pigeon s'est installé dans les villes, il niche où il peut, sur les appuis de fenêtres, sur les trottoirs, dans les bâtiments et surtout dans les clochers des églises et dans les beffrois où il n’est pas le bienvenu. Il pose d'ailleurs un problème dans l’église des Vigneaux pour faire chanter à nouveau le carillon. Dans les clochers de certaines églises des grillages de protection viennent obturer les ouvertures, tandis que dans les cathédrales des systèmes électriques sont installés pour l’empêcher de nicher.
Les clochers et les beffrois seraient-ils pourtant devenus les nouveaux pigeonniers ?
Sources :
Pigeonniers de France/chez Alice.fr
PassionProvence.org : Les pigeonniers en Haute-Provence
Pigeonniers et girouettes en Pays de Somme, André Guerville, F.Paillard, Abbeville, 2007