Le clocher et le beffroi de l'église des Vigneaux (Pays des Ecrins)
Première visite
L'ouverture de la serrure à chimère n'est pas simple...et puis ça y est ! La lourde porte s'ouvre en grinçant un peu, on pénètre dans l'église sombre et fraîche, en cet après-midi d'été.
On s'émerveille un moment devant les fresques murales, les fonts baptismaux, la sobre architecture de cette église roman-lombard. On se dirige vers le fond de l'église, on ouvre une petite porte, et on emprunte l'échelle minuscule, suivie d'une autre et puis d'une autre, c'est de plus en plus étroit et poussiéreux, on entend de plus en plus distinctement le lent "CLONG!.....CLONG!" d'un balancier dans sa petite pièce de charpente dans le haut du clocher, qui rythme le temps depuis des siècles - enfin qui a repris son travail de métronome depuis que le mécanisme a été restauré, d’abord par Didier Aubert en 1986, puis à partir de 2011, par des élèves et des partenaires du projet scolaire «Horloges d’Altitude» développé au lycée de Briançon.
La montée est périlleuse, on est couvert de poussière, le sol est jonché d'étrons de pigeons...On croise, impressionné, les poids d'une centaine de kilos qui pendent au bout de leur câble et qu'il faut remonter tous les 6 jours. On arrive en regardant ses pieds..."dans" la plus grosse cloche qui pèse 520 kg et qui date du XIX° siècle, elle est dotée d'un marteau en fer forgé. Attention, il faut se pencher, pour sortir de dessous la robe de la cloche, enjamber des câbles, passer sous d'autres cordes, ne surtout pas faire sonner les cloches !...
Après ces quelques contorsions et acrobaties, on ose regarder partout:
Les 4 cloches, dont Victorine, exceptionnelles dans toute la région et qui peuvent sonner en carillon, il suffit de tirer les bonnes cordes, en suivant une partition avec les numéros inscrits aussi sur les poignées. Ainsi le décès d’une personne du village est annoncé par les quatre cloches, sonnées par un employé municipal, qui disent lentement « Tu ---- dors ---- long----temps ». Mais pour la sauvegarde de ce patrimoine, il faudrait isoler les cloches des fientes des pigeons !
Le haut du clocher au-dessus de nos têtes,
La vue sur le village à travers les ouvertures du clocher de pierre...
L'horloge "Gros-de-Franche-Comté, 1786 a commencé sa "carrière" dans la Collégiale de Briançon, et fut amenée ici en 1890.
Quelques photos plus tard, avant de redescendre dans l'église, nous voici dans la pièce de l'horloge qui entraine le cadran à une seule aiguille, et date du XVIII° siècle. La mécanique à l'élégance aérienne enfermée dans sa cage, avec ses grandes roues, la grâce de son balancier, la force de ses poids, est tout simplement...émouvante.
Mais il faut redescendre, bien fermer toutes les portes à clé, retour à l'air libre, le soleil, la montagne, le village, la belle église avec son porche superbe, et les fresques extérieures qui représentent les vices, les vertus et les châtiments, comme dans beaucoup d'églises de la région.
Le mécanisme si simple et si compliqué, m'a émue aux larmes, avec son rythme de métronome, puissant et fascinant, qui marque le temps qui passe, inéluctablement...
Merci à Yolande et à Denis d'avoir permis cette visite exceptionnelle.
Et bravo aux "horlogers-vignerons" !
Des horloges en poésie : ici
La signature enchantée
Pierre Joseph Gros, originaire de Franche-Comté, maitre horloger à Gap en 1786 :
« … horloge par moy fait à la dite ville » de Briançon. (§ Véronique Fauchier)
Sur l'axe de la roue d'échappement à chevilles qui tourne, quand la lumière se fixe au passage sur la face gravée, on peut lire :
Gros De franche Comté
horloGer
A Gap
1786
Le compagnon-horloger Gros de Franche-Comté a gravé cette signature pour nous, élèves et professeurs, villageois, poètes et horlogers, historiens et musiciens, écrivains, passionnés...pour qu'en nous penchant sur elle, par notre travail, nous fassions sortir un peu ce génie des ténèbres et de la terre, pour que nous lui offrions notre siècle, la lumière de notre printemps, la musique de son horloge...l'éternité de son travail, nos rires et nos yeux qui brillent !
Je rêve que le cœur de cette horloge puisse battre longtemps, aussi longtemps que le Temps...
Graissage et remontage de l'horloge de l'église des Vigneaux
Article paru dans la revue Alpes&Midi du 15 février 2013.
Tels 3 Quasimodo, ils grimpent sur des échelles et des escaliers de fortune, dans le clocher de l'église des Vigneaux. Les voici en quelques enjambées dans le beffroi après la poussière et les étrons de pigeons, munis de seringues, de flacons, de grands plastiques, de chiffons et de quelques outils...Dehors il fait -15° en ce samedi matin.
Ils aiment ce lent « Clong---Clong » qui rythme chacune de leurs visites à la vieille horloge royale, qu'ils sont venus huiler, frotter...caresser, réchauffer, admirer, étudier, remonter, ranimer !
Cette élégante et svelte mécanique fêtera ses 227 ans cette année, et grâce aux « horlogers-vignerons », bénévoles qui se relaient pour la remonter et la soigner, tous les six jours, elle est toujours en activité, et donne l'heure aux villageois, sur son cadran à une aiguille, son compagnon de toujours.
A l'aide d'une grosse seringue Stéphane Ferraris, l'horloger de Lyon, enfant de la région, dépose quelques gouttes sur tous les endroits stratégiques : orifices, tétons de roues et de pignons qui tournent inlassablement, activés par les deux poids d'une centaine de kilos, et qui transmettent leur mouvement à d'autres pièces, méticuleusement et finement fabriquées en 1786 par un compagnon-horloger, « Gros de Franche-Comté, horloger à Gap ». Sur un axe sont gravés ces mots et la date.
Auparavant, ils ont déposé des plastiques sur le plancher, pour éviter de tacher le bois.
Denis Vialette, le professeur passionné, coordinateur du projet, passe tendrement un chiffon huilé sur toutes les pièces de la mécanique. « Pour dépoussiérer et éviter la rouille » dit-il.
Cyrille Fernandez, un des « horlogers-vignerons », est monté pour apprendre le « graissage » de l'horloge. Avant de redescendre, il a installé le « pignon-cage » et la manivelle, qu'il tourne lentement et de plus en plus vite...
Par la trappe dans le plancher, on voit le poids remonter doucement au bout de son câble, dans la clarté bleue du clocher...
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27 septembre 2013 : L'horloge s'arrête...
Vendredi 27 septembre 2013, après des essais de sonnerie avec Bernard Bachelet, professeur de mécanique au lycée, la roue des heures a été démontée pour être emportée au lycée.
Bernard Bachelet réparera les 12 doigts de déclenclenchement des sonneries.
C’est une opération délicate…
En attendant le retour de la roue, l’horloge est arrêtée et les Horlogers d’édifice Vignerons sont en vacances.
Le coeur de la Grande dame est arrêté, normalement tout refonctionnera avant la Noël 2013.
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30 novembre 2013 : Le coeur de l'horloge repart...
On est monté une nouvelle fois dans le clocher de l'église, mais cette fois dans un silence de mort...
On a posé la roue des heures avec ses doigts tout neufs sur le sol.
Ici on voit Bernard Bachelet, Thibault et Aliocha dans l'atelier,
avec ses nouveaux doigts fabriqués par l'ENSAM de Cluny.
On la repositionne dans son emplacement...
Et on refait des essais de sonnerie...
Les villageois ont entendu leur cloche sonner n'importe comment pendant une heure ou deux...
On a relu les instructions pour remonter la vieille horloge et son coeur s'est remis à battre...
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Quelques phrases ou commentaires pour terminer :
Pierre Joseph Gros, originaire de Franche-Comté, maître horloger à Gap en 1786 :
"...horloge par moy fait à la dite ville" de Briançon. (§ Véronique Fauchier)
Henri Faure, curé de la paroisse des Vigneaux en 1890 :
"...mais vieille carcasse elle n’est bonne qu’à servir de refuge aux moineaux du clocher."(§ Claude Altobelli)
Daniel Fonlupt, responsable de La Maison des Horloges à Charroux :
"C'est une horloge vissée et non clavetée, fonctionnant 8 jours. En 1786, la plupart des horloges de clocher fonctionnaient 30 heures (remontage tous les jours). C’est aussi une des premières horloges à roues en laiton. En général, elles étaient en fer forgé. Je m'étonne qu'à l'époque, les constructeurs aient un tel savoir faire, et une telle maîtrise du travail."
Jean-François Ravanel, technicien d'enseignement et de recherche à l’Ensam de Cluny :
"Avant de continuer, une réflexion PERSONNELLE : une commune qui possède une horloge de clocher en état de marche doit la laisser dans son état d'origine, et uniquement l'entretenir !!! C'est un privilège de remonter et de surveiller la mécanique. La présence humaine d'un amateur (au bon sens du terme) est indispensable pour jeter un œil régulièrement et anticiper tout problème."
Thierry Le Ligné, CPE au Lycée d'Altitude de Briançon :
"Je m'inscris absolument dans ces propos : c'est un privilège de remonter une telle horloge et un vrai bonheur simple."
Didier Aubert, restaurateur de l’horloge des Vigneaux en 1986 :
"Merci pour ces informations et encore bravo à l'équipe des horlogers-vignerons."
Denis Vialette, enseignant au Lycée d’Altitude de Briançon :
"C’est probablement la plus ancienne horloge d’édifice de France et d’ailleurs (1786), en fonctionnement continu, dans son emplacement historique, et entretenue par des bénévoles."
Vincent Degasquet, habitant des Vigneaux :
"Une horloge qui ne fonctionne pas, et qui est cachée dans le fond d’un clocher invisible à tous, a autant de valeur (culturelle j’entends) qu’un amas de ferraille."
Et pour moi, Sylvie, qui suis "l'ambassadrice" du projet, c'est toujours un plaisir de revoir cette vieille Dame, toujours en forme, prête à repartir avec la seule impulsion d'une plume d'ange entrée par la fenêtre du clocher, avec aussi, en coulisses, la belle énergie d'une « bande de malfaiteurs » qui ne lui laissent même pas le bonheur d'une paisible retraite... Et oui, je sais bien que le bonheur des horloges c'est d'avoir un cœur qui bat, et des rouages bien huilés !
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