Nous voici à quelques kilomètres des Hautes-Alpes, dans les Alpes-de-Haute-Provence. La côte du lac de Serre-Ponçon est au plus bas et plus basse que jamais. Hiver rigoureux, besoin en électricité, sécheresse, énormes chutes de neige, neige qui va fondre au temps des crues de printemps... la côte du lac est à 780m en-dessous de sa côte optimale de remplissage, c'est à dire à 0 mètre. Mais elle remonte depuis peu et c'était le bon moment pour marcher dans les anciennes rues du village d'Ubaye, englouti lors de la mise en eau du lac, après la construction du barrage, en 1959. 

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Lac de Serre-Ponçon vu de sa rive gauche, côté pont de Savines

 

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et côté barrage.

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Le village en 1950. Il compta jusqu'à 220 habitants, il doit son nom à la rivière Ubaye. Le village bénéficiait d'un bel ensoleillement et d'un microclimat qui lui avait valu le surnom de "Petit Nice". Il y avait, au début du XIXe siècle, une vingtaine de commerces et d'artisans, hotel, cafés, épicerie, boulangerie, colporteur, maçon, bourrelier, cordonnier, une institutrice pour 15 élèves, postier, agent EDF, garde forestier...

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En 1959, le village est détruit malgré la résistance des habitants. Le clocher est dynamité, le cimetière reconstruit 300 mètres plus haut... 

 

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Dans les années 1950, les hommes décidèrent de construire un barrage qui retiendrait ses eaux dans un lac immense et calme, un lac qui ferait la joie des poissons, des goélands, des véliplanchistes, des touristes, des bateaux promenade, des pêcheurs de brochet… et des fabricants d’électricité.

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Il y eut beaucoup de larmes, d’adieux, aux morts du cimetière, à la maison, à la ferme, au moulin, à l’église… On emmena tout ce que l’on pouvait. On vida les maisons, on évacua les brebis, les vaches et les ânes.

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 Monsieur le curé tenait le grand crucifix de l’église entre ses bras et remontait par le sentier en disant des prières. On aurait dit qu’il sauvait Jésus de la noyade… Plus tard il fit de même avec la cloche.

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Des femmes pleuraient sur son passage, les hommes regardaient leurs jardins, leurs choulières, la barrière de l’enclos des bêtes qu’ils avaient reconstruite l’été dernier, le monument aux morts. Qu’il était émouvant ce village.

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Et la fontaine qui chantait ses secrets et le four à pain qui fumait et parfumait les rues et les soirs d’automne. Comment croire que bientôt il ne serait plus qu’un tas de cendres au fond d’un lac. On aurait dit qu’il souriait dans le beau coucher de soleil. Mais il était déserté, abandonné, condamné. 

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Le lavoir chanta une dernière fois la chanson des femmes à la lessive

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Et puis le jour vint où il fallut tout faire sauter.

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Aujourd'hui je marche dans l'imaginaire des rues du village. Sur quelle rue, dans quelle cuisine, mes pas se posent-ils ? Ma main caresse le pupitre d'un écolier fantôme et soudain j'entends les élèves qui récitent tous ensemble... et leur chanson s'éloigne.

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 J'écoute le murmure de l'eau dans le bassin, comme un souvenir...

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Et quand le lac se vide, la rivière saute à nouveau avec joie dans la chute délaissée. Elle se jette en chantant avec des étincelles de lumière 

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Où sont les couleurs de la vie ? Tout n'est plus que cendres et alluvions grises

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Écoutez-moi encore un peu... je vais bientôt retourner aux abysses du lac...

(au fond le cimetière et la chapelle reconstruits)

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La chapelle a été reconstruite près du cimetière, seuls témoins d'une vie passée.

Et puis le jour vint où il fallut tout faire sauter.

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 Ce jour-là, monsieur le curé regardait son église en pleurant, comme pour l’accompagner, jusqu’à la fin,

la fin du monde.

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25 mars 2018 : la côte du lac a commencé sa remontée. L'eau va à nouveau se refermer sur les souvenirs d'Ubaye...

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