Le four banal des Bruns - La Roche-de-Rame
Chaque hameau de La Roche possédait son four, sa chapelle, sa fontaine et parfois son moulin. Le four des Bruns, servait aux habitants des hameaux du Billys, des Gillys, et des Bruns. En 1891 il fut décidé d'une réparation jugée nécessaire. Chaque habitant fut tenu de faire les journées pour le transport des matériaux et de payer le coût de la main-d'oeuvre et des fournitures nécessaires. Chacun étant également tenu de se conformer aux usages anciens pour le mode de cuisson.
Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, la consommation de froment par habitant augmente, alors que la consommation de seigle est en net recul. Le Père Pascallon curé de La Roche écrit en 1848 : « C’est bien rarement que le froment ne réussit pas dans les plaines de la Roche, grâce à l’activité persévérante des habitants ».
« Pendant la bonne saison, on faisait cuire notre pain tous les 20 jours au four banal du hameau. A l’arrivée de la mauvaise saison on faisait les cuites c’est à dire la fabrication de notre pain pour trois mois. A partir du deuxième mois, le pain était si dur qu’il fallait un taille pain spécial pour en venir à bout. Les personnes âgées le trempaient dans le vin pour le manger. Dans ma commune il n’y avait que les enfants des rares fonctionnaires ou ouvriers qui mangeaient du pain du boulanger local et personnellement, je les enviais ». Extrait du journal de Joseph Duc né en 1900.
Chez Giraud, le meunier de l’Argentière, on faisait moudre le seigle et le froment. Lui-même mélangeait les deux céréales. Ce mélange donnait un pain bis. Le meunier prenait la précaution de garder la farine première, la fleur, avec laquelle nous faisions des beignets.
Dans un toupin en terre, le poêlon, on gardait du levain de la cuisson précédente. Ce levain était dur. On le trempait dans de l’eau chaude et on le délayait pour obtenir un pâte molle qui sentait l’aigre. C’était parfois la même famille qui gardait le levain, à Géro c’était Elise Pascal, mais souvent c’était la dernière famille qui avait cuit qui en était dépositaire. Pétrir ce levain mélangé à la farine était le travail des hommes bien que quelques femmes se rappellent l’avoir fait. Plusieurs fois malaxée, cette pâte lourde envoyée d’un côté à l’autre du pétrin, devait reposer et seulement après un certain temps qui permettait à la pâte de lever, on formait des boules que l’on posait dans un paillasson sur le fond duquel on mettait une toile. Le paillasson est un panier large et sans anse, fait avec de la paille de seigle. Certains étaient faits avec de l’osier.
Quand on n’avait pas de paillasson, on posait les boules sur une longue planche recouverte d’un peu de son. Chaque homme portait sur l’épaule la planche sur laquelle les pains étaient alignés, et arrivés au four, il posait ces planches sur des barres en bois horizontales. Le pain était donc préparé à la maison. La pâte était tournée à bras.
La famille qui cuisait, devait allumer le four la veille. Chacun donnait deux ou trois bûches. Les familles qui cuisaient ensuite ne faisaient que réchauffer le four pour leur fournée. La température du four était atteinte lorsque l’intérieur était blanc. On testait la chaleur en approchant la joue de l’entrée du four ou en jetant du son sur la sole qui, s’il s’enflammait, montrait que le four était trop chaud. Avant d’enfourner, on enlevait les cendres, on balayait le four et on passait un chiffon humide au bout d’un bâton.
Une vingtaine de minutes après, les pains, qu’on avait changé une fois de place en cours de cuisson, sortaient gonflés et dorés laissant deviner la croix tracée sur le dessus. A la belle saison on cuisait une fois par mois mais à l’automne on cuisait pour tout l’hiver. Les pains cuits étaient posés verticalement sur un cadre de bois à la chambre ménagère. On achetait un pain blanc une fois par an lorsqu’on tuait le cochon. Ce pain servait à épaissir le bouillon du pot au feu.
Les fournées de pain terminées, on cuisait les tourtes de choux et de pommes de terre et à l’automne en plus des tourtes aux pommes ou aux poires. Les parents faisaient des bonshommes en pâte pour les enfants.
Chaque année pour la fête de la Saint-Laurent, l'Association Patrimoine Roche-de-Rame allume le four pour cuire le pain. Depuis 3H du matin et jusqu'au soir, une équipe de six (dont 3 menuisiers !) s'est relayée pour cuire environ 240 pains : 8 fournées de 30 pains. Quand on ouvre la porte pour enfourner, on est somptueusement enfumé !
Le pain est vendu samedi et dimanche par des bénévoles de l'Association sur le pré où se déroule la fête votive, ici Colette Duc, Madame la Présidente...
Vers le VIIIe siècle, les grands propriétaires exerçaient, dans le système féodal français, un droit général de commandement qu'on appelait Ban. Le droit de ban permettait au seigneur d'imposer aux habitants de la seigneurie, l’obligation d’utiliser de façon exclusive le four, le moulin, le pressoir que lui-même avait édifiés. Ces installations étaient des monopoles technologiques payants, sources de profits pour le seigneur, soit directement, comme dans le cas des banalités (de four, de pressoir, de moulin), soit indirectement en raison des amendes qui sanctionnaient toute désobéissance au ban. Charge, en contrepartie, au seigneur d'entretenir ces équipements ainsi que leurs accès. En retour, les habitants de la seigneurie banale étaient tenus de faire moudre leurs grains, cuire leur pain, presser leurs grappes à l’édifice banal. L’étendue du domaine de chaque moulin, par exemple, et qu’on nommait la banlieue, était fixée en gros à la distance qu’un âne chargé de grains pouvait parcourir jusqu’à lui en une demi-journée. Ces installations banales ne doivent pas être confondues avec celles, communales, dont la gestion revenait à la collectivité.
Plus faciles à construire, à camoufler, les fours particuliers, illégitimes, permettaient d’échapper à la banalité tant que les agents du seigneur ne les avaient pas découverts, puis fait détruire.
Ces privilèges, abolis et déclarés rachetables dans la nuit du 4 août 1789, sont définitivement supprimés sans rachat en 1793.
Sources : Colette Duc - Association Patrimoine Roche-de-Rame