La Collégiale de Briançon et ses horloges
La Collégiale Notre-Dame-Saint-Nicolas, que l'on voit ici surgir des remparts de la vieille-ville (Cité Vauban) est aujourd'hui église paroissiale.
La construction de l'église qui débuta en 1703 (on peut voir une pierre gravée de cette date sur le chevet de l'édifice) connut quelques vicissitudes : en effet l'architecte, un protégé de Vauban, disparut en emportant les plans mais aussi après avoir touché une forte avance sur le prix. Les consuls mirent en demeure Vauban d'exécuter les travaux. L'architecte ayant été retrouvé, construisit l'église sous la surveillance de Vauban en personne. L'église fut achevée en 1718 et consacrée en 1726.(source Wikipédia)
Elle était destinée au culte, bien-sûr, mais pouvait aussi servir de repli stratégique et de lieu de refuge pour les habitants, en cas de siège de la ville : elle peut en effet contenir 1500 personnes (bien tassées...)
Le cadran solaire sur la tour ouest L'horloge sur la tour est
Le chevet de la Collégiale et sa pierre gravée 1703
Le Cadran de Vauban
Un siège pouvant durer plusieurs jours, il était nécessaire d'avoir l'heure. Oui mais regarder l'heure pendant la messe était très inconvenant. On choisit donc d'installer le cadran au plafond, au-dessus du portail d'entrée. On ne pouvait ainsi regarder l'heure qu'à la sortie de la messe.
La Collégiale de Briançon fait partie des cinq églises au monde possédant ce genre de cadran (source Service du Patrimoine). Une autre se trouve dans l'église Saint-Nizier de Lyon.
Les mauvaises langues prétendent que le cadran (à une seule aiguille) avait été placé à l'entrée de l'église, juste au-dessus du bénitier, pour permettre de lire l'heure dans le reflet de l'eau (bénite) de celui-ci...
Le Cadran de Vauban et son reflet dans le bénitier
Ce cadran a été actionné par une première horloge « Silvestre » installée en 1719, puis par une deuxième horloge « Gros » installée en 1786 (source Véronique Faucher, Service du Patrimoine).
En 1989, Stéphane Ferraris, alors élève de BTS MI au Lycée d’Altitude, et trois membres de sa famille, ont l’idée géniale de raccorder l’horloge « Odobey », remise en état par leurs soins, au « Cadran de Vauban ». Ce projet audacieux nécessite 14 mètres de tringlerie, trois renvois d’angle, un réducteur et beaucoup de passion. Ce projet aboutit le 15 août 1991.
Il est maintenant certain que l'horloge de la Collégiale datant de 1786 a été déplacée et installée en 1890 dans l'église des Vigneaux.
Le carillon
En 2011, les élèves et les partenaires du projet scolaire « Horloges d’Altitude » du lycée de Briançon ont remis en fonction le carillon de trois cloches (Mib, Sol, Sib) qui sonne à nouveau pendant tout le mois de mai. Ce carillon traditionnel était joué pendant le mois de Marie vers 18 heures par le bedeau François Allais (frère d'Emilie Carles) de 1912 à 1952. Maurice Martinon et Pierre Arnoux ont retrouvé la mélodie, et racontent que François montait jusqu'au niveau des cloches et sonnait joyeusement les notes, qui disaient avec malice : « Toutes les filles de Briançon s'en vont à la prière, non pas par dévotion, mais pour voir les garçons !!! »
Pierre Arnoux a dessiné François et son béret, actionnant les trois cloches avec ses mains et ses pieds, sous le beffroi du clocher.
François Allais joue le carillon (dessin de Pierre Arnoux)
Pierre Arnoux raconte :
" J'ai été enfant de choeur à la Collégiale, et nous montions avec François Allais dans le clocher pour le regarder jouer de son carillon. Nous étions chacun à un coin du mécanisme, habillés avec la "soutane" des enfants de choeur de l'époque (c'était juste après la guerre). Nous avions trois soutanes, semblables à celle du prêtre : une noire, une rouge et une violette que nous portions selon la liturgie. On nous appelait "les petits curés". Avant de monter dans le clocher nous avions remonté les cordes qui servaient à sonner la volée, pour éviter que quelqu'un les actionne et nous assomme, car nous devions ensuite aller déplacer les battants afin qu'ils soient tout près de la robe des cloches. Alors, ainsi postés près de François, nous le regardions manoeuvrer avec ses pieds et ses mains, les pédales et les manettes, et nous écoutions ce carillon qui nous enchantait. François était tourné vers la chapelle Notre-Dame des Neiges, qui domine la ville sur le Prorel. Et en sonnant le carillon, il priait.
J'ai aussi participé aux processions. Devant, prenait place le porteur de la grande croix, puis derrière lui, les "pots de fleurs". C'est ainsi qu'on appelait les petits enfants de choeur, à cause de leur taille ; puis venaient les plus grands, le curé, et le thuriféraire, porteur d'encens. J'ai été un "pot de fleurs" !
Dans les années 1920-30, c'est le "père Paillas", qui deviendra plus tard Chef des Cantonniers de Briançon, qui était chargé de remonter les poids de l'horloge Paul Odobey, et de la mettre à l'heure. Mais il n'avait pas de montre, alors il passait chez l'horloger Nortier dans la Rue Centrale (aujourd'hui bijouterie) et le "père Nortier" lui inscrivait l'heure sur un papier. Notre "père Paillas" montait alors vers la Collégiale et ajoutait environ un quart d’heure à l’heure du papier… C'est dire si l'heure était juste sur le cadran de la Collégiale !"
Monsieur Paillas a inscrit sa signature sur la porte de la pièce de l'horloge Paul Odobey, et Monsieur Nortier sur le mur près de l'horloge
Le Père Maurice Martinon raconte :
"François est né à Val-des-Près le 17/07/1889.
Sa famille cultivait la terre. Les saisons succédaient aux saisons parfois ingrates, parfois meilleures. Après son service militaire, il va épouser le 11/10/1919 Jeanne Rostolland à Névache, fidèle à la tradition : « Si tu veux te marier, va prendre femme au pays plus haut que le tien, comme pour les pommes de terre ! » (sic) Avec sa femme, il s'installera à Briançon, Rue du Temple, appelée alors Rue du Vin (il y avait des caves avec des citernes et on y conservait le vin, parfois pour frauder la loi). Menus travaux. Une écurie avec des vaches, des moutons, des cochons, et chaque matin la vente du lait ; c'était le travail de Jeanne.
En 1912 il est devenu le bedeau de la Collégiale avec une fidélité émouvante. Chaque jour à 6h, midi et 19h, accompagné de son chien qui attendait sur le perron, François tirait la corde pour sonner l'angélus. En semaine il préparait et servait la messe de 6h30. Le dimanche, messes à 8h et 10 h, puis les vêpres et les prières du soir. Les enterrements, les mariages. Au mois de mai, le soir, pour appeler à la prière il sonnait un carillon.
Et les années ont passé. Jeanne son épouse est morte, ce fut très dur pour lui. Ils avaient besoin l'un de l'autre. Sans enfant. La solitude. Chaque jour à l'automne et au printemps, il allait garder ses moutons au fort des Têtes. Un soir en comptant son troupeau, un agneau manquait. C'était le 27/10/1952. Alors il est reparti le chercher. Il n'est pas rentré. L'angélus n'a pas sonné ce matin-là et l'on est parti à sa recherche. On a retrouvé son corps noyé dans une citerne (réserve d'eau) au fort de Têtes. Le couvercle avait été enlevé ! Il faisait sombre, il est tombé. Lui qui mesurait 1m70, il y avait presque 2m d'eau. J'ai eu le souci de l'habiller, lui un vieil ami. En ce temps-là, j'étais vicaire à la Collégiale. Bon et fidèle serviteur, François s'en est allé sans bruit. Plusieurs jours, son chien est venu s'asseoir sur le perron de l'église : fidélité des bêtes !
François repose dans le cimetière de Briançon. Qui se souvient de lui ? Merci François, l'ami fidèle."
L'horloge Paul Odobey
L'horloge Paul Odobey installée en 1890 commande le Cadran de Vauban au plafond.
Les travaux
Dans le cadre du projet scolaire « Horloges d’Altitude » un programme de mise en valeur des horloges et du carillon est engagé en partenariat avec la ville de Briançon. La première tranche de travaux est menée par les élèves de CAP de maçonnerie et de maintenance des bâtiments de collectivités (MBC) sous la conduite de leur professeur Gérard Celse. Suivront les compagnons charpentiers de l’Argentière-la-Bessée, puis des plâtriers, électriciens, menuisiers, horlogers. A terme ce patrimoine insolite sera rendu visitable par les guides conférenciers du Service du Patrimoine de la ville de Briançon. (source Denis Vialette)
La voûte étayée et l'escalier en construction
Dans les combles, on s'arrête, émerveillé, sous l'exceptionnelle charpente en mélèze du XVIIIe siècle
Les travaux de maçonnerie sont terminés et signés par les élèves du CAP
(à suivre)